Élise Bernard, docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur euradio les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit s’impose de plus en plus comme une évidence parmi les Etats membres de l’Union européenne, du moins dans les discours cela semble clair, mais qu’en est-il des exigences à l’égard des États candidats ?
Eh bien visiblement, les attentes sont moindres ! On constate un débat plutôt vif entre ceux qui pensent que l’État de droit sera une exigence une fois membre et que l’extension du marché unique doit être priorisée et ceux qui insistent pour que l’État de droit soit exigeant dès le départ pour éviter de répéter le précédent Fidezs en Hongrie.
Oui et en plus de ne pas partager la même vision de l’État de droit, la solidarité entre États européens n’intéresse pas Orban !
C’est d’ailleurs ça qui amène Giorgia Meloni à trouver des soutiens ailleurs.
Oui et pas forcément du même côté de l’échiquier politique.
Exactement. Et encore plus étonnant, avec le gouvernement socialiste d’Albanie.
145000 personnes sont arrivées illégalement en Italie, déjà en 2023, avait annoncé Frontex, n’est ce pas ?
Oui, sans rentrer dans du Giorgia bashing – elle avait été élue sur une promesse de réduire ces flux migratoires – nous avons bien compris que la sensibilité d’un gouvernement est sans effet sur l’intensité des flux. On a déjà parlé des îles italiennes qui matériellement ne peuvent plus absorber ces flux.
L’espace et les moyens sont limités !
Voilà, alors la Première ministre italienne innove, disons. Elle a signé un accord le 6 novembre avec le Premier ministre albanais, socialiste donc Edi Rama. Pour répartir les flux. De ce que l’on en sait pour l’instant.
On imagine que la mise en œuvre va être compliquée et pas forcément conforme aux exigences de l’État de droit !
Difficile de juger des intentions mais la mise en œuvre, en effet, ce sera complexe. Ce qui est annoncé, c’est un objectif est de transférer les migrants secourus en Méditerranée par des navires italiens vers l’Albanie pour prendre en charge – a priori - l’accueil d’urgence. Si vous prenez une carte, vous verrez au Nord de la Méditerranée la mer Ionienne et la mer Adriatique.
C’est par là que fuyaient les Albanais vers l’Italie du temps de la dictature d’ailleurs.
C'est ça ! Logistiquement parlant, c’est aisé à suivre. Au niveau des responsabilités, c’est moins net. L’Italie finance le transfert des personnes recueillies – en mer - par les navires italiens. Il n’est pas question de transférer celles qui sont déjà sur le sol italien, ni les enfants, ni les femmes enceintes.
Mais, c’est conforme au droit de l’UE ? Ça ne s’apparente pas à du refoulement ?
C’est là que je suis sceptique.La commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, Ylva Johansson, estime que comme l’Albanie n’est pas membre de l’UE, la légalité européenne est préservée.
Mais c’est un candidat à l’UE, l’Albanie.
Voilà donc de belles décisions et jurisprudences en perspective! Les violations potentielles du droit européen en Albanie donneront-elles lieu à une action de la part de la Commission européenne ? Le cas échéant, contre qui ? L'Italie ? L'Albanie ? L’institution semble avoir pris ses distances par rapport à la mise en œuvre de l'accord. Donc je ne peux même pas vous dire si - ce que l’on peut comprendre comme un soutien logistique à son voisin italien – ira en sa faveur ou non dans le processus d’adhésion à l’UE.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.