Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’état de droit c’est une justice qui s’applique aux décideurs politiques même s’ils sont populaires, alors comment peut-on expliquer cette levée de boucliers après la condamnation de l’ancien Front national et sa présidente par la justice française ?
Oui Laurence, c’est vrai que la condamnation de Marine Le Pen est qualifiée par certains de “viol de l’Etat de droit”.
Les faits remontent à 2015, 29 assistants parlementaires étaient soupçonnés de percevoir une rémunération du Parlement européen sans y travailler.
Alors ces personnels, payés par le Parlement européen mais ne travaillant pas sur les dossiers européens, manifestent un abus de confiance de la part du parti pendant plusieurs années. Ce qui est intéressant à relever, c’est que les condamnés font preuve d’une inversion accusatoire, le parti eurosceptique serait victime d’un complot pour leur nuire.
D’habitude, c’est Viktor Orban qui se pose en victime de Bruxelles.
Exact ! le Premier Ministre hongrois est régulièrement mis en cause pour ses détournements de fonds européens. Un documentaire hongrois a d’ailleurs provoqué de sacrés remous il y a quelques semaines. Dans la même veine, l’ancien Premier ministre tchèque A. Babis s'était illustré dans la captation des fonds agricoles et actuellement, son parti est membre du groupe d’extrême droite Patriots for Europe au Parlement européen.
Cette condamnation de Marine Le Pen est pourtant loin d’être une surprise. Le parquet général de Paris avait été saisi, en mars 2015, d’une demande émanant du Parlement européen.
Le président du Parlement européen de l’époque, Martin Schulz, avait joint aux pièces de ses services financiers une lettre adressée à la ministre française de la justice, Christiane Taubira. Sur cette base, le parquet de Paris a ensuite ordonné une enquête préliminaire pour abus de confiance par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales.
Les procédures sont suivies et les enquêtes arrivées à leur terme font que le détournement de fonds publics est difficilement discutable maintenant.
En fait, ce qui crée des tensions, c’est la sanction d’inéligibilité d’une candidate “présidentiable”. Elle peut naturellement faire appel, l’Etat de droit est respecté. Pour évacuer tout doute quant à l'exécution provisoire de cette sanction, l’appel est déjà prévu pour l’été 2026.
On lui laisse une chance de ne plus être jugée inéligible pour le scrutin de 2027 ?
Exactement Laurence. La popularité de la candidate a été prise en compte. Maintenant, on peut se demander comment les électeurs qui l’imaginent “anti système” vont prendre le fait qu’elle a profité et abusé du système, comme François Fillon, Sylvie Goulard ou Edith Cresson, pour ne citer que ces précédents. On relève aussi que les réclamations - à cor et à cri - d’une justice exigeante varient quand même beaucoup en fonction des circonstances.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.