L'état de l'État de droit - Elise Bernard

L'État de droit a-t-il une couleur politique ? - Élise Bernard

L'État de droit a-t-il une couleur politique ? - Élise Bernard

À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.

L’Etat de droit c’est un cadre juridique à respecter, peut-être des standards d’ordre politique, mais en tant que tel, l’État de droit n’a pas de couleur politique, n’est-ce pas ?

Tout à fait Laurence, ça me rappelle d’ailleurs cette déclaration de l’eurodéputé conservateur finlandais Petri Sarvamaa. Il dit que « Viktor Orban essaie de faire passer le Parlement pour un repaire de gauchistes radicaux. Je lui souhaite bonne chance s’il veut repeindre le groupe PPE avec des couleurs vertes et roses. » Certains considéreraient donc que l’État de droit ne représente que les mouvances écologistes et socialistes. Sarvamaa peut être considéré comme de la même couleur politique que Orban mais il explique que son groupe soutient fortement une ligne dure, non pas sur la Hongrie, mais sur l’État de droit.

Oui mais c’est quand même bien contre la Hongrie que la Commission européenne a décidé de geler 7,5 milliards d’euros de fonds européens ?

Bien sûr, la Commission invoque, on l’a vu, des problèmes de corruption et d’attributions de marchés publics, mais elle laisse au gouvernement hongrois trois mois pour proposer des réformes pour corriger ces problèmes. On se situe dans cette logique de reddition de comptes : chaque acteur institutionnel doit justifier d’assurer la sécurité juridique et le principe fondamental d’égalité pour que l’autre soit en confiance. Ici, c’est la condition pour verser des fonds.

C’est très hypocrite de la part du gouvernement hongrois alors que le plan de relance se justifie par les conséquences négatives de la crise pandémique sur les situations économiques, financières et sociales des États.

Oui mais surtout, cela met en exergue un point essentiel : l’Etat de droit, on peut le qualifier. Devant les circonstances, il a été décidé d’une Union solidaire, donc plutôt sociale face à la crise pandémique. Mais cette solidarité, et c’est qu’explique l’eurodéputé Sarvamaa, elle est acceptable parce qu’elle répond aux préceptes de l’État de droit. Autrement dit, des élus PPE admettent le qualificatif social à l’État de droit, même si ce n’est pas l’essentiel de leur ambition politique. Parce que pour en profiter, il faut répondre à des exigences strictes. Exigences auxquelles, pour l’instant, le gouvernement de Budapest ne veut pas répondre.

Orban essaye donc d’introduire des oppositions de politiques politiciennes dans un contexte de politique sectorielle quand il qualifie l’UE de gauchiste.

Voilà, il y a une théorisation, plutôt ancienne de l’État de droit que l’on peut qualifier de social, on la retrouve chez l’allemand Hermann Heller au début du XXe siècle. Le cadre juridique doit prendre en compte la réalité socio-économique. Donc, dans les faits prendre en compte les inégalités pour une organisation plus juste des rapports économiques. Le plan de relance post-crise pandémique, c’est exactement cela : dans le cadre d’une politique sectorielle ambitionnant une économie pérenne en Europe, il est décidé, eu égard aux circonstances, de prendre en considération les difficultés, pour mieux se relever tous ensemble. Hongrie comprise. Elle profite donc d’une orientation plus sociale mais Orban la dénonce, pour des objectifs que seul lui poursuit.

Et un État de droit écologique ? On y arrive aussi ?

On peut le dire, ce n’est pas aussi abouti que l’État de droit social qui repose sur plus d’un siècle de doctrine, mais l’État de droit à ambition écologique sa doctrine est récente, originaire d’Amérique du Sud d’ailleurs, mais il répond à cette logique qu’on a déjà vue : vivre dans un environnement sain est un droit fondamental, la puissance publique a une responsabilité. Ce qui peut varier, entre les partis politiques, c’est sa rigueur parce que fondamentalement, je doute qu’on puisse affirmer que le droit à vivre dans un environnement sain a une couleur.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.