Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Aujourd’hui vous vouliez nous parler du 17
juin
Oui car le 17 juin est la journée mondiale de lutte contre la désertification. L’occasion de revenir sur des sujets dont on a parlé ensemble ces derniers mois.
Il ne me semble pas que l’on ait parlé de désert pourtant ?
La désertification n’est pas uniquement une avancée de désert. Le terme de désertification décrit davantage le processus de dégradation des terres en zones sèches. Ce processus peut avoir lieu à la frontière d’un désert ou pas.
La dégradation des terres ne concerne d’ailleurs pas que les zones sèches, mais toutes les régions du monde. La FAO dans son rapport sur l’état des ressources en sol et en eau de 2021, indique que 34 % des sols cultivés sont dégradés. L’ensemble des terres dégradées concerne 1660 millions d’hectares, dont une moitié dans les régions sèches, l’autre moitié dans les régions humides. Elles affectent la moitié de l’humanité et menacent la moitié du PIB mondial.
Si toutes les régions sont plus ou moins concernées, les régions sèches sont particulièrement vulnérables. Leur système alimentaire et leurs économies fragiles sont très dépendants de l’agriculture et donc des ressources en sol et en eau.
Quels sont les facteurs de dégradation ? Le changement climatique, les activités humaines ?
Les deux. C’est bien la combinaison de conditions climatiques et de gestion des terres et des eaux défavorables qui conduit à la raréfaction du couvert végétal, une baisse de la santé des sols, c’est-à-dire une perte en éléments nutritifs, en matière organique et en biodiversité, puis une baisse des rendements agricoles.
Le processus est progressif. Des sols moins protégés par la végétation sont plus sensibles à l’érosion hydrique et l’érosion éolienne. L’érosion entraîne la couche de surface, la partie la plus riche du sol. Les végétaux poussent moins bien, les sols sont alors moins protégés contre la pluie et le vent et il y a moins d’apports organiques au sol. Il y a donc moins d’activité biologiques, moins d’infiltration et de rétention en eau, donc moins de végétation et ainsi de suite… L’érosion serait responsable d’une perte de l’ordre de 4 millions d’hectares de terres par an.
Quel tableau !
Oui et pour finir de le noircir, il faudrait aussi parler salinisation particulièrement prégnante dans les zones sèches irriguées et les zones côtières sensibles aux incursions marines. 33 % des terres irriguées seraient impactées. Il faudrait aussi parler de contaminations des sols par des usages excessifs en produits agrochimiques, de tassement des sols lors de surpâturage, ou d’utilisation excessive des sols conduisant à une perte de leur taux en matière organique.
Maintenant que vous avez bien noirci l’image, qu’est-ce qu’on fait ?
Si le constat semble terrible, la prise de conscience est réelle. Bien sûr il y a cette journée de sensibilisation organisée le 17 juin, depuis 1995, mais il y a aussi la convention des nations unies contre la désertification qui se réunit tous les deux ans, la prochaine en 2024, et des engagements des états pour la restauration des terres. L’objectif est clair réduire les surfaces de terres dégradées. Il existe au moins en paroles une volonté d’enrayer le processus de désertification dont on parlait tout à l’heure. Des outils basés sur des images satellitaires et des mesures de terrain suivent et croisent différents indicateurs sur l’état des ressources, tels que le couvert et la production végétale, le taux de matière organique des sols et des indicateurs démographiques.
OK on sait suivre le problème, mais il y a-t-il des solutions ?
Il y en a ! et la palette des solutions est grande car les solutions doivent s’adapter à toutes les couleurs de sol, tous les contextes agronomiques, climatiques, économiques et culturels. C’est par exemple, restaurer les forêts et savanes dégradées, favoriser la production végétale, réduire l’usage d’intrants minéraux là où il en a trop mais favoriser l’accès aux intrants là où il n’y en a pas assez, favoriser la fertilisation organique, et la régénération naturelle des plants.
Mais est ce que toutes ces solutions coûtent cher ?
Bien moins cher que de ne rien faire. Comme bien souvent il vaut mieux prévenir que guérir. Tout à l’heure je vous disais que 1660 millions d’hectares sont dégradés, mais il y a plus de trois fois plus d’hectare de sol (5670 millions d’hectare) dont l’état décline. Les enjeux sont donc énormes pour inverser la tendance. Une volonté politique forte est nécessaire. Si les schémas actuels d’intensification de l’agriculture sont reconnus comme non durables par une majorité, les investissements et les politiques agricoles pour une gestion intégrée des sols et des eaux peine à s’installer.
Toujours plus facile à dire qu’à faire
Bien sûr car il s’agit d’investir sur le long terme sur l’ensemble des services rendus par les sols, c’est à dire la production alimentaire, de fibres, d’énergie, la régulation des ressources en eau disponibles, le soutien à la biodiversité. Cela suppose de la cohérence entre les différentes politiques publiques agricoles et de protection de l’environnement. Cela aussi suppose de planifier et de partager l’utilisation des ressources limitées en eau et en sol et donc l’engagement de tous, urbains comme ruraux dont les besoins et les contraintes sont différents.
Cependant, je suis confiante, on n’a jamais autant parlé des terres, des sols et de leur santé que ces dernières années. Le sol n’est pas encore un bien commun, mais l’idée fait son chemin… Ces jours-ci, je vous rappelle qu’est discuté au parlement la nouvelle loi visant la mise en œuvre de la zéro artificialisation nette, peut-on faire ce que l’on veut de son sol ?
La société considérait peut-être le sol comme une sorte de manne divine, elle est train de se rendre compte que cette ressource est convoitée, limitée et sensible… Nous sommes en train de retomber sur terre, tout terrien que nous sommes. Je vous laisse planter là, pour cet été. Planté là à contempler et apprécier ce que les sols nous procurent et vous dit à bientôt !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.