Toute vérité n’est pas bonne à dire à tout moment. Pour l’heure, le président russe écrase le Donbass sous les bombes. L’agression fait rage et ce n’est pas au moment où le président russe fait vivre ce martyre à l’Ukraine qu’il faudrait se soucier de « ne pas humilier la Russie ».
Lorsque Vladimir Poutine aura été repoussé dans ses frontières, ce sera tout différent. Ce jour-là, il faudra bien évidemment ne pas répéter l’erreur du Traité de Versailles et se garder d’imposer à la Russie de telles conditions de paix qu’elle en soit ruinée, diminuée et ne pense qu’à une revanche. Il faudra tout faire alors pour intégrer la Russie dans le concert des nations européennes. Il faudra contribuer à y enraciner la démocratie et bâtir avec elle un continent de stabilité et de prospérité où la guerre serait aussi inconcevable qu’elle l’est devenue entre l’Allemagne et la France mais, en ces jours de souffrance et de résistance, la tâche est tout autre.
Elle est de battre M. Poutine, non pas de le ménager mais d’aider l’Ukraine à le faire reculer, non pas de lui « trouver une porte de sortie » mais de ne rien lui céder tant qu’il ne se sera pas résolu à cesser le feu et à proposer, lui, la porte de sortie dont il finira par avoir besoin et que les Démocraties n’auraient, ce jour-là, aucune raison de lui refuser.
A ce moment-là viendra le temps de « ne pas humilier la Russie » mais, tant que l’agression n’aura pas été défaite, ce souci ne sera qu’un contretemps, la première des trois erreurs à ne pas commettre aujourd’hui.
La deuxième serait de ne pas avoir assez d’audace pour relever le défi politique auquel l’Union européenne est désormais confrontée car remontons huit ans en arrière.
En 2014, lorsque Vladimir Poutine avait commencé à s’en prendre à l’Ukraine, il ne lui reprochait pas de vouloir se rapprocher de l’Alliance atlantique. Il n’avait pas à le faire puisqu’elle s’y refusait alors à une écrasante majorité et c’est la volonté des Ukrainiens d’entrer dans l’Union qui leur avait coûté la Crimée et les a placés depuis sous le feu du président russe.
A ne pas leur accorder le statut de pays candidat, les 27 viendraient ainsi donner une légitimité à ce veto de M. Poutine. En n’accordant pas aux Ukrainiens le statut de pays candidat, l’Union reconnaîtrait au président russe le droit de reconstituer un Empire contre la volonté des peuples qui s’en sont libérés. L’Union européenne ne saurait en aucune manière conforter de telles nostalgies mais, sauf à risquer la paralysie, l’Union ne peut pas non plus procéder à de nouveaux élargissements sans modifier ses institutions.
Sauf à créer une situation totalement ambiguë et rapidement ingérable, elle ne peut pas même octroyer le statut de candidat à de nouveaux pays qui devraient ensuite attendre quelques deux décennies avant de pleinement compter parmi les Etats membres.
En l’état actuel des choses, l’Union ne peut ainsi dire ni oui ni non à l’Ukraine mais plutôt que d’aller créer à ses côtés une structure d’attente indépendante dont la Grande-Bretagne et les Etats-Unis auraient tôt fait de prendre les manettes, elle doit se réinventer.
Elle doit devenir une Union à plusieurs étages, une seule et même Union nommée l’Union européenne mais dans laquelle coexisteraient trois ensembles différents. Zone de libre-échange régie par l’état de droit et à laquelle pourraient très vite s’intégrer de nouveaux membres, le premier de ces ensembles pourrait être la Communauté politique européenne évoquée par le président de la République. Le deuxième serait l’actuelle Union mais resserrée par l’obligation d’adopter la monnaie unique. Le troisième serait enfin une Union politique dont les membres mettraient en commun leur Défense, leur politique étrangère et leurs investissements dans les industries d’avenir.
Aucun de ces trois étages ne serait constitué pour l’éternité puisque les Etats membres pourraient passer de l’un à l’autre aussitôt qu’ils le voudraient et le pourraient. Ce serait un changement d’ampleur mais il éviterait aux 27 de rater leur rendez-vous avec l’Histoire en commettant l’erreur de ne pas se réinventer face au retour de la guerre en Europe et leur permettrait, surtout, de faire de la nécessité d’élargir leurs rangs le moyen d’approfondir leur unité.
Quant à la troisième erreur à éviter aujourd’hui, elle serait de craindre une troisième guerre mondiale alors qu’elle a déjà commencé. Il n’y a pas lieu de la craindre. On y est déjà car à défaut de précipiter le monde entier sur les champs de bataille aussi sûrement que l’avaient fait l’attentat de Sarajevo et l’invasion de la Pologne, l’agression de l’Ukraine par la Russie n’aura pas mis trois mois à se faire ressentir sur les cinq continents.
Les pénuries de pain menacent l’Egypte, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Il n’est plus un pays où les prix ne s’envolent, ceux de l’alimentation, de l’énergie ou des deux. Cette situation est grosse de crises sociales elles-mêmes porteuses de déstabilisations politiques et, stratégiquement parlant, l’évolution des combats en Ukraine pèse lourd sur l’appréciation chinoise de la question taïwanaise.
La pérennité du pouvoir de Xi Jinping en devient aussi incertaine que le rapport de forces entre les Etats-Unis et la Chine. La guerre d’Ukraine s’est instantanément mondialisée. C’est en ce sens qu’elle est d’ores et déjà mondiale et nous n’en sommes ainsi qu’au début d’une très longue et très inquiétante histoire.
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