Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
Dans ce climat incertain et bousculé par les évènements ukrainiens, l’Europe continue néanmoins sa croisade pour les politiques contre le changement climatique. La semaine dernière, la règlementation du carbone aux frontières a commencé à tracer sa route. De quoi s’agit-il ?
Le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » ou MACF est une nouvelle taxe sur les importations de biens polluants. L'UE souhaite introduire cette mesure à partir de 2026 sur les importations d'acier, de ciment, d'engrais, d'aluminium et d'électricité. Une sorte de période transitoire commencerait en 2023, puis la règle devrait être approuvée par le Parlement européen d'ici cet automne. La nouvelle taxe proposée s'inscrit dans le cadre des politiques de l'UE en matière de changement climatique, qui visent à réduire de plus de moitié les émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, ce qu’on appelle « fit for 55 ». Il faut savoir que l’Union Européenne a payé plus de 2 100 milliards d’euros d’importations en 2019, à peu près le PIB de la France. Des échanges qui représentent 20 % des émissions de gaz à effet de serre européennes.
Et donc quelle est la dernière avancée sur ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ?
L’année dernière il y a eu un vote de la Commission sur une première résolution. Et cette année, une étape importante a été franchie le 15 mars, les ministres des Finances ayant adopté leur position sur les grandes lignes du MACF. Il s'agit d'une décision importante qui protège les entreprises européennes contre les concurrents produisant des biens dans des pays où la législation carbone est moins stricte que la nôtre. Cette nouvelle forme de taxation garantira que les entreprises européennes ne seront pas désavantagées dans le commerce international.
L'UE fixera un prix du carbone pour les importations sur les produits visés par ce mécanisme, afin de garantir que l'action climatique en Europe n'entraîne pas de fuite de carbone. Les réductions d'émissions européennes contribueront ainsi à faire baisser les émissions au niveau mondial, tout en empêchant la production à forte intensité de carbone de quitter l'Europe.
L’accord des ministres de l’économie a-t-il été unanime ?
Les positions sont parfois divergentes, malgré l’enthousiasme de Bruno Le Maire, ministre français des Finances, qui a déclaré : "C'est un pas en avant important dans la lutte contre le changement climatique", ajoutant qu'une "grande majorité" soutenait cette position. Mais quelques positions semblent nuancées.
Les propositions mises sur la table aujourd'hui simplifient la gouvernance du mécanisme et établissent un bon équilibre entre le rôle de la Commission et celui des États membres", a déclaré le ministre de l'économie italien Daniele Franco, "Nous apprécions particulièrement que le texte reconnaisse la nécessité de mesures de contrôle pour éviter la fraude". Rappelons que le système d’échange des quotas à polluer (EU ETS ou SCEQUE) a subi une fraude à la TVA, des vols de quotas, bien sûr à ses débuts. Il faudra être vigilants.
La mise en œuvre de la taxe carbone aux frontières est-elle susceptible de pénaliser certains Etats Membres ?
Certainement, dans la mesure où les Etats n’ont pas tous la même structure économique et démenas des importations. Les Etats qui importent beaucoup de biens et services seront nécessairement plus touchés que d’autres. Par ailleurs, la Pologne s’est opposée au texte, refusant la disparition progressive des quotas gratuits sur le marché du carbone qui touchera les secteurs concernés par le mécanisme d’ajustement carbone. C’est un peu une fuite en avant, car cette question doit être discutée dans le cadre de la reforme du marché des quotas à polluer. Mais cela montre que beaucoup de négociations seront encore nécessaires, d’abord au Parlement, pour valider la décision de la Commission, et ensuite pour continuer à avancer sur la « frontière européenne du carbone ».
Anna Creti est Professeure d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, qui développe des programmes de recherche autour de l’économie du changement climatique.
Anna Creti au micro de Laurence Aubron
Photo © Nick Humphries (CC)