Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
Dans l’espoir de toucher les intérêts économiques de la Russie, l’Europe avance sur un embargo du charbon. Quel est le poids de ce secteur dans nos économies ?
Les représentants des Vingt-Sept ont décidé un emble 8 avril un embargo sur le charbon russe et la fermeture des ports européens aux navires russes, dans le cadre d'une cinquième salve de sanctions contre Moscou. Jusque-là, on avait entendu parler du gaz et du pétrole, que vient donc faire le charbon ? Une précision d’abord. Il existe deux types de charbon, la lignite et la houille, deux types de combustibles fossiles. Selon les types de charbon, il y a des usages différents. Globalement, le charbon sert à trois fonctions : chauffage, alimentation de chaudières industrielles, production de fonte ou d'essences synthétiques. Selon sa qualité, le charbon peut en effet être brûlé, transformé en coke ou gazéifié. Un large spectre qui va donc de la production d’électricité à celle de la fonte, ou du méthanol. Les chiffres agrégés en Europe : selon Eurostat, en 2020, la production de houille de l’UE était de 56 millions de tonnes, soit 80 % de moins que les 277 millions de tonnes de 1990. De 2018 à 2020, l’UE a réduit d’un tiers sa consommation de houille et de lignite. En termes d’importations : 133 millions de tonnes en 2019, 89 millions de tonnes en 2020. La consommation et la production de charbon, soit de lignite que de houille, ont fortement baissé en Europe depuis les années ‘90. D’une part la désindustrialisation, d’autre part le fait qu’il faut payer les quotas d’émission de CO2 généré par la combustion du charbon, et la décarbonation du secteur électrique…tous des facteurs qui ont joué en défavorisant l’usage de charbon.
Quel est le contenu de l’embargo ?
On peut citer les mots de la Commission. « Une interdiction d'importer du charbon russe sous toutes ses formes. Un quart de l'ensemble des exportations russes de charbon est concerné, ce qui infligera à la Russie une perte de recettes d'environ 8 milliards d'euros par an ». La Commission européenne avait initialement proposé une période de liquidation de trois mois pour les contrats existants, ce qui signifie que la Russie pourrait effectivement continuer à exporter du charbon vers l'UE pendant 90 jours après l'imposition des sanctions. Mais apparemment ce délai est reporté à mi-août. On ne sait pas encore tout sue la mise en œuvre de l’embargo.
Quels pays pourraient être plus touchés ?
Les enjeux du charbon ne sont pas de la même taille que celles du gaz et du pétrole. On pourrait penser que c’est plus facile de s’accommoder de cette sortie. Néanmoins, certains pays restent producteurs et consommateurs de charbon. Allemagne, Pologne et Tchéquie en premier lui, suivie par Bulgarie, Roumanie et Grèce. Ces pays seraient potentiellement plus touchés. L’alternative aux importations Russes, qui pèsent 46% ans l’approvisionnement total européen, se trouve loin : Chine, Etats-Unis, Indonésie, Inde, Australie.
Et la transition énergétique dans tout cela ?
Outre ses conséquences négatives sur la qualité de l’air, le charbon contribue le plus au changement climatique avec près de 40 % des émissions totales de CO2. Un ennemi de taille pour la préservation de la planète. Pour cette raison, plusieurs pays en Europe, dont la France, la Hongrie, l’Allemagne ont déjà prévu la sortie du charbon, du moins dans la production d’électricité. Aussi, la sphère de la finance verte mène à des restrictions appliquées aux opérateurs de centrales électriques à charbon. D’ailleurs plusieurs banques commerciales ont annoncé leurs plans visant à mettre un terme aux financements dirigés vers de nouveaux projets charbonniers à travers le monde. A Glasgow, à l’issue de la COP 26, il y a eu également un accord pour « sortir du charbon » d’ici…2030. Donc la route d’abandon du charbon est tracée, sauf qu’encore une fois, on se rend compte que ces horizons sont encore trop lointains et au moment où il faut accélérer, c’est sous la pression d’un conflit sans pitié.
Anna Creti est Professeure d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, qui développe des programmes de recherche autour de l’économie du changement climatique.
Anna Creti au micro de Laurence Aubron