Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
Encore une conséquence de la guerre en Ukraine. L’augmentation du cours du brut détermine un renchérissement des carburants. Où en est-on en Europe ?
Les carburants sont un cas exemplaire des différences de prix entre pays européens. Selon les données Eurostat, en moyenne, un citoyen européen doit débourser 1,92 euro pour un litre d’essence et 1,96 euro pour un litre de diesel. Ceci au 28 mars. Il y a un an, essence et diesel étaient en dessous de 1,5 euros le litre. Mais derrière cette moyenne se cachent des prix très différents. Avant la crise liée au conflit russo-ukrainien, Malte est le pays où l'Euro 95, net de taxes et d'accises, ne coûterait que 59 cents par litre.
En deuxième position, on trouve la Hongrie avec 67 cents. Médaille de bronze pour la Croatie à 72 cents. L'Italie occupe la dixième place (à égalité avec la Lettonie). La France est à un centième derrière. L'Espagne est à 92 centimes, tandis que l'Allemagne, à 1,08 euro, est le pays le plus cher des 27. Le classement varie légèrement pour le diesel, mais Malte (55 centimes) et la Hongrie (69 centimes) sont toujours première et deuxième. L'Espagne est à 93 cents et l'Allemagne à 1,24 euro. La Suède est le pays le plus cher avec un litre coûtant 1,48 euro. Ces différences sont dues à différents facteurs : la production nationale de pétrole, la concurrence entre les enseignes de distribution de carburants, les coûts de raffinage et de transport.
Mais cela concerne les prix hors taxes, n’est-ce pas ?
C’est bien cela. Et Les taxes sur les carburants, qui pèsent en moyenne 50%, inversent la situation. Avec 0,73 euro par litre d'essence, l'Italie a les droits d'accises les plus élevés d'Europe, derrière les Pays-Bas avec 0,79 euro par litre. Juste derrière l'Italie se trouvent la Finlande et la Grèce (0,70 euro par litre), la France se situant au bas du podium (0,68 euro par litre) et l'Allemagne (0,65 euro).
En ce qui concerne le gazole, l'Italie bat tout le monde en matière d'accises : avec 0,62 euro par litre de gazole, elle est en tête de liste, devant la Belgique (0,60 euro par litre) et la France (0,59 euro). Imposer des taxes sur les carburants est « normal » car il s’agit de commodités où la demande est peu sensible au prix. Donc une manne fiscale pour les Etats. Et chaque Etat en Europe a une très grande liberté en matière fiscale, d’où ces différences.
Justement, à propos de différences. Les carburants font partie des dépenses les plus importantes du quotidien. Quelle a été la réponse des Etats face à l’augmentation de leur prix ?
Nous avons vu qu’en France une remise sur le prix à la pompe s’applique à partir de début avril sur chaque litre de carburants. La remise sera comprise entre 15 et 18 centimes, et est différente selon le taux de TVA en vigueur dans les régions. Cette mesure vient après la revalorisation des frais kilométriques, décidée il y a deux mois. En Italie la baisse est plus forte, 25 centimes par litre, mais de durée plus courte aussi, jusqu’à fin avril.
Ce sons les accises qui ont baissé de 30%. En Espagne, schéma intermédiaire : la réduction s'élève à 20 centimes par litre et sera financée par l'Etat (sur 15 centimes), et le reste par les compagnies pétrolières. Des exemples qui confirment les différences entre stratégies des Etats Membres.
D’un point de vue économique, quelles sont les conséquences de ces mesures qui allègent le coût des carburants pour les consommateurs ?
Ces mesures ont un coût pour les gouvernements. Vont-ils se rattraper ? Très probable, même si le rattrapage pourra être dilué dans le temps. Et effet dépnd aussi de comment les mesures sont financées, par la taxation des profits des entreprises de secteur du pétrole ou par des manœuvres fiscales. Mais il y a aussi un autre effet, qui est celui de ne pas donner les bonnes incitations pour réduire la consommation des carburants.
Des mesures plus ciblées sur les ménages dont le revenu est plus faible, ceux qui dépendent de leurs voitures pour aller au travail, ceux qui sont en pauvreté énergétique serait une meilleure façon de baisser le cout du plein. Ou sinon, comme l’avait suggéré l’Agence Internationale de l’Energie, réduire la vitesse…trop difficile, sans doute.
Anna Creti est Professeure d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, qui développe des programmes de recherche autour de l’économie du changement climatique.
Anna Creti au micro de Laurence Aubron