Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
Lundi 28 février, dans la torunmente de la situation actuelle en ukraine, un nouveau rapport du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Cat (GIEC) a été publié. Qu’en est-il ?
Avec un réchauffement global de +1,5 degré, le monde sera confronté à de multiples risques climatiques inévitables au cours des deux prochaines décennies. Même un dépassement temporaire de ce niveau de réchauffement entraînera d'autres effets graves, dont certains seront irréversibles. Les risques pour la société, notamment pour les infrastructures et les établissements côtiers, vont augmenter. Le changement climatique induit par l'homme provoque des perturbations dangereuses et généralisées dans la nature et affecte la vie de milliards de personnes dans le monde, malgré les efforts déployés pour réduire les risques. Les personnes et les écosystèmes les moins aptes à faire face sont les plus touchés. L'augmentation des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations "dépasse déjà les seuils de tolérance des plantes et des animaux, provoquant une mortalité massive chez certaines espèces, notamment les arbres et les coraux", avertit le GIEC. Ces phénomènes météorologiques extrêmes "se produisent simultanément, entraînant des répercussions en cascade de plus en plus difficiles à gérer".
Quels phénomènes sont importants pour l’Europe ?
Le rapport souligne des risques dans les villes, pour la population fragile : personnes âgées, isolées, enfants. L’idée que le lutter contre le changement climatique est aussi une question d’inclusion sociale devient claire. Aussi, les risques pour la zone méditerranéenne sont élevés. Globalement, le nombre de décès et de personnes exposées au stress thermique devrait doubler ou tripler pour une augmentation de 3°C de la température.
Dans ce rapport on parle d’adaptation. De quoi s’agit-il?
Ce n’est pas la première fois que le GIEC parle d’adaptation, mais cette fois-ci les exemples sont concrets. Certains effets du changement climatique sont déjà là et ils sont irréversibles. Aucun autre choix que de s’y adapter. Repenser les espaces urbains pour créer des espaces verts utiles contre les canicules, absorber les eaux en rendant les sols imperméables face aux risques des crues, développer les technologies de capture du carbone, reforester, désaliniser…En plus, comme le rapport le souligne, certains de ces moyens d’adaptation permettent aussi de diminuer les gaz à effet de serre.
Pourquoi est-il si difficile de communiquer sur le changement climatique ?
Les rapports du GIEC sont des véritables pièces de science, les résultats d’années de travail de centaines de chercheurs, qui pourtant s’efforcent progressivement d’être plus lisibles. Le rapport complet fait plus de 3000 pages, le résumé technique 76, la synthèse à l’intention des décideurs 96. Il faut s’y plonger, comprendre le langage, l’idée des différentes échelles de probabilité…Mais il y a de plus en plus de cartes et de fiches. Et même sur les réseaux sociaux d’excellents résumés circulent. Je voudrais souligner surtout le rapprochement évident avec la réalité économique et sociale. Certains changements, avertissent les scientifiques, sont irréversibles, mais il est encore possible d'agir sur d'autres, même si "la fenêtre de temps se rétrécit". Toutefois, ce que l’on retient, dans ces mots, est l’inéluctabilité du changement, cette oppression du catastrophisme. Les leviers d’actions possibles, pourtant bien identifiés, passent à la trappe. L’être humain déteste ce qui ne donne pas de choix. Depuis toujours, depuis la malédiction des oracles.
Mais on se préoccupe de l’impact de la guerre sur le prix de l’énergie…
Oui, c’est un peu la contradiction et l’irrationalité. Pourtant comme l’a dit la déléguée ukrainienne à l’approbation du rapport du GIEC, avant de quitter précipitamment la réunion : “Le changement climatique et les conflits ont la même racine : les combustibles fossiles et notre dépendance à leur égard”. Mais on ne réalise pas cette racine commune avant qu’elle ne devienne une réalité qui touche le pouvoir d’achat des citoyens. Et pourtant ceci n’est qu’un millième du problème. Le conflit aura-t-il aussi levé le voile sur les sources du changement climatique ? Aujourd’hui on ne peut conclure qu’avec un point d’interrogation.
Anna Creti est Professeure d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, qui développe des programmes de recherche autour de l’économie du changement climatique.
Anna Creti au micro de Cécile Dauguet