Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, QD, vous voulez évoquer le cas de François BAYROU, c’est bien cela ?
En effet, et les tout récents réquisitoires des deux Procureures de la République m’en donnent l’occasion. Les faits qui sont reprochés à M. BAYROU lui vaudront, si le siège suit le ministère public, une condamnation à trente mois de prison avec sursis, de trois ans d’inéligibilité, également avec sursis, assortis de 70.000 Euros d’amende (sans sursis).
Mais quels sont donc les délits commis par François BAYROU ?
M. BAYROU était (et est toujours) le président du MoDem, formation politique centriste et pro-européenne. A ce titre, il a autorisé et organisé en pleine connaissance de cause du contexte, ayant été un temps député européen, un système peu complexe de détournement de fonds au détriment du Parlement européen, c’est-à-dire des contribuables des vingt-sept pays de l’UE que nous sommes.
Comment cela fonctionnait-il ?
Chaque eurodéputé a droit à un ou plusieurs assistants parlementaires ; pour simplifier, ceux-ci sont ou bien affectés en permanence à BRUXELLES, ou bien recrutés localement dans la circonscription de l’élu. Or, le système BAYROU consistait à présenter comme attachés au Parlement européen des personnes, qui, en réalité, n’y mettaient jamais les pieds et travaillaient exclusivement pour le parti à PARIS.
Pour y parvenir, pendant la campagne précédant les élections européennes, les candidats du MoDem étaient fortement encouragés à signer un document, par lequel ils s’engageaient à mettre un tiers de l’enveloppe mensuelle de 28.412 Euros, destinée à la rémunération de leurs attachés parlementaires, à la disposition du parti…sous forme de mise à disposition du parti desdits attachés parlementaires.
Et les candidats acceptaient sans broncher ce tour de passe-passe clairement illégal ?
C’est qu’on expliquait aux novices que c’était normal – quoique certains plus au fait des choses, comme Jean-Marie CAVADA par exemple, refusaient catégoriquement de signer – ce qui n’empêchait pas d’être élu.
Mais M. BAYROU n’est pas le seul mis en cause ?
Non, six anciens eurodéputés et quatre attachés parlementaires se retrouvent dans la même charrette, alors que le MoDem et son prédécesseur, l’UDF, risquent une amende de 500.000 et de 300.000 Euros respectivement.
A préciser : les élues Maud GATEL, Sylvie GOULARD, et Nathalie GRIESBECK ont bénéficié d’un non-lieu.
Voilà pour le point de la situation. Mais pourquoi s’intéresser aujourd’hui à cette triste affaire ?
Précisément parce qu’elle est triste et que, lorsque tombera la décision de justice, celle-ci devra servir d’exemple dissuasif.
Mais elle est aussi particulièrement grave, pour trois raisons.
D’abord, parce qu’elle met à nu la perte de repères moraux et de l’appréciation du risque juridique de la part de gens trop longtemps installés en politique. Croire perpétuellement à sa bonne étoile constitue un vrai danger pour celles et ceux qui sont investis de mandats publics, et qui, souvent, franchissent la ligne jaune sans se rendre compte qu’ils trahissent de façon irrémédiable la confiance de leurs concitoyens et électeurs, non seulement en leur personne, mais surtout dans la démocratie parlementaire elle-même. A la longue, le résultat est là : engouement pour les extrêmes et abstention massive. Merci, François BAYROU.
La deuxième raison, c’est qu’au Parlement européen, le MoDem n’a fait qu’appliquer en miniature un système mis au point à l’échelle quasi-industrielle par le Front national. Cette révélation est évidemment dommageable pour l’image de marque du MoDem, ce qui devrait faire fuir tout bon électeur centriste.
La dernière raison tient à la personne de M. BAYROU, qui a fait carrière dans le rôle du démocrate-chrétien sourcilleux, du moralisateur patenté, de l’europhile exigeant, de la statue du commandeur et du faiseur de roi. On est en droit de se demander ce qu’il en restera après le prononcé du jugement.
Aux États-Unis, il arrive périodiquement qu’un sénateur ou un gouverneur bien-pensant, vigoureux défenseur des vertus sacrées de la famille, ami du shérif et toujours assis au premier rang à l’église, se révèle avoir détourné de l’argent public et être un client assidu de prostituées. La sanction est immédiate : démission honteuse et soins psychologiques.
Je ne donne pas souvent en exemple le modèle politique américain ; mais les militants et sympathisants centristes français auraient tout intérêt à faire le ménage chez eux – bien avant les élections européennes de l’an prochain.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.