Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson , vous voulez nous entretenir d’un mutant, dites-vous ?!?...
Ce mutant est en fait un mot. Les amateurs de romans et de films d’épouvante frémissent volontiers à l’évocation de cette créature abominable, fruit pestilentiel d’un accouplement contre nature d’un humain et d’une bête sauvage. Ce monstre, qui parcourt les ruelles sombres à la recherche de la chair fraîche dont il se nourrit, porte un nom : c’est un Hybride.
C’est affreux ! Pourquoi nous rappeler cela ?
Tout simplement parce que, depuis une dizaine d’années, ce mot, cette notion terrifiante, ne viennent plus naturellement à l’esprit : aujourd’hui, quand on parle de l’hybride, c’est pour désigner banalement un véhicule routier, à motorisation combinant l’électrique et le thermique. On est donc passé sans transition de l’horreur à l’utile.
Certes, mais quel est le rapport avec l’actualité ?
Vous allez voir. Mais, pour cela, prenons d’abord le pouls de l’industrie automobile européenne. Jadis florissante, novatrice, exportatrice, elle a subi un premier choc frontal au cours des années 1960 avec l’arrivée sur son marché des voitures japonaises, que bien peu de spécialistes de la branche avaient vu venir – et dont personne n’avait prévu l’essor rapide.
Ce phénomène, les constructeurs européens y sont à nouveau confrontés depuis à peine cinq ans : les Chinois succèdent aux Japonais.
Comment cela s’est-il passé ?
Le scénario est identique : les véhicules extrême-orientaux débarquent modestement ; on se gausse du peu de raffinement de ces copies maladroites, dont la seule vertu est le prix particulièrement bas ; mais, sans effet d’annonce, la qualité de leur production rejoint progressivement la nôtre et, bientôt, l’égale ; ayant analysé nos faiblesses techniques, ils ont eu l’intelligence d’investir massivement dans la recherche pour les corriger sur leurs propres modèles.
Et, on le constate tous les jours, la puissance industrielle de la Chine permet de charger toujours plus de véhicules sur d’immenses navires, qui viennent déverser dans nos ports et par centaines de milliers la production de marques inconnues il y a quelques mois seulement : Lynk & Co, BYD, MG, NIO, notamment. Et ce n’est là que la pointe de l’iceberg : la Chine compte en effet une bonne cinquantaine de constructeurs automobiles.
Et le gros de l’invasion, ce sont des véhicules hybrides.
Et comment réagissent les constructeurs européens ?
Avec difficulté. D’abord, ils n’épousent pas tous les mêmes positions, et avancent divisés face à l’invasion d’hybrides chinois. La Commission européenne, consciente de la concurrence déloyale de PÉKIN qui subventionne ses entreprises d’État, impose des taxes à l’importation – mais cela indispose les marques européennes qui possèdent des usines en Chine, tant pour ce marché national que pour l’exportation…parfois à destination de l’Europe, d’autant qu’elles constituent des cibles de choix pour toute éventuelle mesure de rétorsion de la part des autorités chinoises.
Mais, surtout, les constructeurs européens sont contraints par l’échéance de 2035, au-delà de laquelle il ne sera plus autorisé de vendre des voitures à moteur thermique neuves dans l’Union européenne.
Comment cela ? On fabrique bien des voitures électriques en Europe.
Certes, mais pas en quantité suffisante, et alors que le marché des véhicules électriques stagne – principalement en raison d’un réseau de recharge encore limité - et que la demande de voitures thermiques se maintient. Difficile dans ces conditions pour un constructeur de répartir les chaînes, de fait concurrentes, entre ses différents sites de production.
Que faire, alors ?
Aucune solution envisageable n’est parfaite, loin s’en faut. Cependant, un aménagement de la réglementation européenne serait possible : ce serait de maintenir l’autorisation de vente de véhicules hybrides au-delà de 2035, pour une période transitoire de dix ans, par exemple. Cela ne s’appliquerait évidemment qu’aux voitures dont le moteur thermique ne servirait qu’à entretenir la charge de la batterie de traction, et non à contribuer à la motricité.
Ces hybrides-là – loin d’être des monstres – pourraient donc bien sauver l’industrie automobile européenne et ses douze millions d’emplois.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.