L'édito européen de Quentin Dickinson

En attendant Kim

Image par Tomoyuki Mizuta - Pixabay En attendant Kim
Image par Tomoyuki Mizuta - Pixabay

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

C’est avec incrédulité que l’on a accueilli et vérifié ces jours derniers la nouvelle de l’envoi en Ukraine d’un grand nombre de soldats venus de Corée du Nord en renfort des forces russes sur place, Quentin Dickinson…

C’est que – et pas uniquement en Occident, mais bien dans le monde entier – la stupeur est assurément totale et les commentaires généralement apocalyptiques. Cela mérite donc à ce double titre que l’on y regarde de plus près.

D’abord, le nombre de militaires nord-coréens varie selon les sources, toutes approximatives ou destinées à la propagande. Le plus vraisemblable, c’est qu’un premier contingent logistique est déjà en Ukraine depuis un certain temps, afin de préparer l’arrivée du gros de la troupe, actuellement en formation dans trois bases en Extrême- Orient russe. On peut raisonnablement estimer ce corps expéditionnaire à quatre brigades mixtes de 3.000 hommes chacune, soit 12.000 en tout. On évoque l’affectation de 300 officiers, ce qui est proportionnellement peu ; et on ne connaît pas le rapport entre sous-officiers et hommes de troupe.

L’essentiel des effectifs sera composé de fantassins, avec une composante de l’arme blindée et une autre de l’artillerie de campagne. Il se dit que des pilotes de chasse nord-coréens sont d’ores et déjà présents. L’aviation militaire de Corée du Nord possède un grand nombre de vieux appareils chinois et russes, dont des SOUKHOÏ 25, dont les plus récents ont une quarantaine d’années.

Justement, Quentin Dickinson, ces pilotes viendront-ils avec leurs propres aéronefs, ou alors sont-ils capables de maîtriser des appareils russes plus récents ?...

Bonne question, dont seuls les Russes et les Nord-Coréens ont (peut-être) la réponse. Mais, pour être clair, l’on peut penser que la seconde possibilité est douteuse, et la première, calamiteuse pour les assaillants.

Il subsiste donc pas mal d’incertitudes, alors ?...

En effet, et la première de celles-ci, c’est de savoir si les Nord-Coréens vont se voir confier un secteur propre de la ligne de front, ou alors, s’ils seront dispersés en renfort au sein des unités russes.

Vu par les Ukrainiens, laquelle de ces deux possibilités ont-ils le plus à redouter ?...

Dans le premier cas, seuls face aux Ukrainiens, les Nord-Coréens se trouvent dans un environnement de bois, de plaines et de petites localités très différent de la topographie accidentée et à la végétation dense de la Corée.

Dans le second cas, on peut douter du degré de compréhension réciproque dans l’instant - d’une importance vitale dans tout affrontement de haute intensité - entre Coréens et Russes, autant par leur formation différente qu’en raison de leurs langues totalement dissemblables. On ajoutera que, compte tenu de la permanente désorganisation de la chaîne de commandement russe, des frictions entre officiers russes et leurs homologues coréens paraissent inévitables, et cela, au détriment de la cohérence et de l’efficacité de la conduite des opérations.

En somme, les Ukrainiens ont quelque raison d’être (prudemment) optimistes ?...

En fait, le pronostic leur est plutôt favorable, même si leur intérêt est d’exagérer le péril vis-à-vis de leurs alliés et de l’opinion publique de leurs pays.

Songez que le face-à-face oppose loin de chez eux des Nord-Coréens, politiquement fanatisés (mais dont l’armée n’a pas eu à connaître le moindre affrontement sérieux et durable depuis soixante-et-onze ans, c’est-à-dire depuis la fin de la Guerre de Corée) à des combattants ukrainiens motivés et aguerris, défendant leur propre territoire avec les ressources les plus récentes en matière de technologie militaire.

L’intérêt des Ukrainiens, c’est d’enfoncer dès leur arrivée les lignes nord-coréennes, de prendre un nombre important de prisonniers de guerre que l’on pourra faire témoigner face- caméra – très utile pour la propagande. Et, avec de 800 à 1.000 morts et blessés chaque jour dans les rangs russes, le nombre de 12.000 Nord-Coréens se comprend en perspective.

La présence en Ukraine des Nord-Coréens a aussi une autre conséquence, Quentin Dickinson ?...

Oui, c’est la présence de Sud-Coréens qui viennent à l’aide des Ukrainiens. Ils leur livrent armes et munitions d’origine américaine et de leur propre production, et surtout des interprètes, indispensables pour déchiffrer les communications entre Nord-Coréens.

Les Coréens du Sud y trouvent aussi un avantage non-négligeable pour eux-mêmes : c’est de pouvoir analyser en vraie grandeur les pratiques et procédures tactiques de leurs adversaires du Nord.

Voilà pour le volet purement militaire de cette nouvelle donne ; nous aurons la semaine prochaine l’occasion, à cette même antenne, d’en analyser les aspects géopolitiques

Une interview réalisée par Laurent Pététain.