Diane Chouleur est étudiante en études politiques et de gouvernance européennes au Collège d’Europe. Diplômée d’une licence de droit à l’Institut Catholique de Paris et d’un Master en affaires européennes à King’s College London, elle s’intéresse particulièrement aux politiques culturelles et numériques de l’Union européenne.
On entend peu parler de culture au niveau européen. Pourquoi est-il selon vous nécessaire d’aborder ce sujet ?
Selon moi, il est crucial de s’intéresser à la place de la culture dans la politique de l’Union européenne pour deux raisons. La première, c’est que la culture joue un rôle essentiel dans la création d’une identité européenne et dans la promotion de la diversité culturelle en Europe. La seconde, c’est que les industries culturelles et créatives, qui englobent des secteurs tels que l'audiovisuel, la musique, le théâtre, la littérature et les arts visuels, contribuent de manière significative à l'économie européenne puisqu’elles représentaient environ 4.5 % du PIB de l’UE avant la crise Covid.
Quelle a été la place accordée à la culture dans le projet européen ?
Historiquement, la culture a été la grande absente du projet européen. Lors de l’élaboration de la communauté économique européenne dans les années 50, il n’a jamais été question de commencer par la culture, mais par le charbon et l’acier, puis l’agriculture ou encore l’aéronautique. Une action commune européenne dans le secteur culturel a ensuite vu le jour progressivement. La dimension économique des industries culturelles a permis à la Commission d’aborder la culture sous un angle économique et social dans le cadre de la réalisation du marché unique. Dans les années 90, le Traité de Maastricht a donné pour objectif à l’UE de contribuer à l’épanouissement des cultures des différents États membres, dans le respect de leurs diversités nationales, tout en faisant la promotion d’un héritage culturel commun. Aujourd’hui, néanmoins, le budget alloué à la culture ne représente que 1 % du budget de l’UE.
Concrètement, en quoi consiste l’action de l’UE en matière de politique culturelle ?
En pratique, les actions communautaires se traduisent en programmes culturels tels qu’Europe Créative, qui vise à soutenir les secteurs de la culture et de l'audiovisuel. La moitié du budget du programme est consacré aux industries cinématographiques et audiovisuelles, avec le souci de renforcer leur compétitivité et de les défendre contre le succès des produits culturels extérieurs, en particulier d’origine américaine. Il existe également des programmes relatifs au développement régional ou à l’éducation comme Erasmus +, ou des programmes liés à la recherche et l’innovation tels qu’Horizon Europe. Depuis plusieurs années, la politique culturelle a aussi fait l’objet de réformes à l’aune de la transition numérique puisque l’UE a l’ambition de bâtir un marché unique du numérique.
Quels sont les principaux enjeux et défis liés à la politique culturelle de l’UE ?
Les enjeux et défis liés à la politique culturelle de l’UE résident dans la double nature de la culture, laquelle a évidemment une valeur symbolique renvoyant aux patrimoines culturels et aux œuvres contemporaines, mais également une valeur marchande avec les problématiques d’ordre socio-économique qui y sont attachées. Les enjeux relatifs à la culture sont donc politiques, culturels, sociaux, mais également économiques et industriels.
Cette double nature de la culture rend l’élaboration d’une politique culturelle européenne difficile puisqu’un grand nombre d’États Membres considère que la culture est un fondement de l’identité nationale et entend ainsi maintenir leurs prérogatives dans ce domaine contre tout empiètement de Bruxelles. Paradoxalement, alors même que le principal danger pour les industries culturelles semble être celui de l’américanisation du contenu, les gouvernements nationaux s’inquiètent des dangers qui pourraient résulter d’une politique européenne qui s’imposerait à eux.
Quel futur pour la politique culturelle de l’UE ?
Les dernières réglementations de l’UE en matière culturelle ont permis une meilleure rémunération des artistes dont le contenu est généré sur les plateformes en ligne ou encore d’imposer aux plateformes des quotas d’œuvres d’origine européenne. Prochainement, on attend un cadre réglementaire afin de lutter contre le géo-blocage du contenu audiovisuel pour permettre un libre accès en ligne au contenu audiovisuel protégé par le droit d’auteur partout en Europe, ainsi que des mesures assurant la liberté et le pluralisme des médias. Sur le long terme, l’UE doit renforcer sa diplomatie culturelle, pour qu’elle devienne un vecteur stratégique de la politique étrangère de l’Union, et mettre l’accent sur l’unité culturelle.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.