Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Nous ne quittons toujours pas l’art italien contemporain cette semaine, mais cette fois ça se passe à Nantes et plus précisément au Centre Claude Cahun pour la photographie contemporaine. Racontez-nous
L’annonce d’une exposition de Luca Gilli à Nantes ne pouvait que me taper dans l’œil car j’avais grandement apprécié les deux précédentes intitulées « Blank » en 2012 et « Umwelt » en 2016 à la galerie Confluences à Nantes devenue Centre Claude Cahun pour la photographie contemporaine.
Par ce samedi gris et pluvieux, dans cette troisième exposition intitulée « Incognita », les photographies de Luca Gilli nous aveuglèrent par leur luminosité et leur blancheur. On n’y voyait rien sinon des ambiances quasi aseptisées, étranges.
La marque de fabrique de Luca Gilli, c’est l’observation, longue, l’analyse, minutieuse et la surexposition, éblouissante, d’espaces et d’objets. C’est comme une démarche scientifique qui aboutit à une extrême poésie picturale. C’est de la photographie plasticienne et même métaphysique, comme si elle nous donne à connaître ce que sont les choses en elles-mêmes par opposition aux apparences qu’elles présentent. Et ces choses, ces objets ou ces espaces sont à première vue d’une banalité confondante.
Quelles sont donc ces choses banales que photographie Luca Gilli ?
Par exemple, dans les photographies réunies sous le titre de « Umwelt », l’artiste s’est intéressé aux cimaises vidées de leurs œuvres, aux banquettes désertées devant les vestiges de murs peints, s’attachant aussi à des tuyauteries, des fissures, des éléments d’architecture comme des colonnes enserrant un banc, en fait à l’environnement subjectif du musée fermé. Car l’artiste a revisité le musée des Beaux-arts de Nantes fermé pour rénovation pendant six ans avant de renaître en Musée d’arts de Nantes en 2017.
Cette fois, Luca Gilli s’est enfermé dans un établissement scolaire à l’arrêt pour cause de pandémie du Covid en 2020. « Incognita », ça fait évidemment penser à terra incognita, un territoire inconnu, inexploré. Est-ce que c’est sa formation en sciences naturelles dont il est diplômé qui amène Luca Gilli à observer, analyser et étudier des objets tout à fait banals, voire quelconques ?
Ici ce sont une rangée de porte-manteaux dans un couloir avec deux écharpes oubliées, une mappemonde, un siège, des croquis près d’un bureau d’élève, une fenêtre éclairant un escalier, un banc dans une salle de sport.
Et comment photographie t’il tous ces objets ou espaces somme toute très communs ?
Justement il les transcende par un traitement de l’image en aplat et sans ombre donnant corps aux objets. Il n’y a pas de profondeur de champ, pas de perspective. Il n’y a aucune mise en scène ou fabrication post-production si ce n’est la surexposition, le blanc de l’espace qui dématérialise l’objet ou l’architecture qui deviennent graphiques.
Et c’est cette surexposition poussée à l’extrême qui mange les couleurs et anoblit le sujet. Les sols et les murs colorés deviennent des aplats dans une lumière homogène et tout cela joue avec la picturalité. Si d’aucuns semblent mal à l’aise avec ce qu’ils déclarent de l’ordre de l’esthétisme, d’autres, dont je suis, y trouvent une spiritualité certaine, détachée de la matière.
Et si l’être humain est totalement absent physiquement, l’artiste nous donne à voir, ses traces, ses constructions, son passage.
Emilie Houssa, philosophe et historienne de l’art, écrit dans le catalogue de l’exposition : « Dans cette série Luca Gilli collecte donc les paysages quotidiens, autour d’actions simples à la limite du perceptible qu’on devine par bribes et qui peuvent provoquer des montagnes, chambouler nos imaginaires ou nos rapports à l’espace. Un paysage est politique c’est l’assagissement de la nature par l’homme : pays sage. »
Luca Gilli est un artiste italien, né en 1965, il vit à Cavriago, près de Parme en Emilie-Romagne.
Cette exposition s’inscrit dans le cadre d’une manifestation la QPN à Nantes, pouvez-vous nous en dire plus ?
La Quinzaine Photographique de Nantes, dont c’est la 27ème édition, propose jusqu’au 19 novembre une série d’expositions photographiques toujours de grande qualité autour du thème de la transformation. Et notamment le collectif « Tendance floue » dans l’exposition « Fragiles » au passage Sainte-Croix et à l’Atelier à Nantes. À ne pas manquer.
À voir Incognita, de Luca Gilli, Centre Claude Cahun pour la photographie contemporaine, 45 rue de Richebourg à Nantes, jusqu’au 27 janvier 2024