Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
Vous nous parlez de la photographe Zanele Muholi, qui se définit, ni comme il, ni comme elle mais comme iel. Où l’avez-vous donc vu·e ?
J’ai eu le grand plaisir de découvrir cette artiste non-binaire à la Maison européenne de la photographie à Paris. Et par ailleurs Zanele Muholi se définit également comme militante visuelle.
Elle s’intéresse et fait partie prenante de la communauté noire LGBTQIA +, c’est-à-dire : Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queer, intersexes, asexuels plus, communauté ignorée, méprisée ou trop souvent violentée, pour lui donner une visibilité et l’inscrire dans l’histoire de l’art queer. Depuis 20 ans, l’artiste originaire d’Afrique du Sud documente sa communauté et nous offre à la regarder au travers de deux cents photographies, ainsi que des peintures et des vidéos.
Qu’est-ce que cette artiste nous donne à voir ?
Son arme contre l’homophobie, c’est son appareil photo argentique. Ses images sont fortes, dignes, fières comme celles de la magnifique et émouvante série « Faces and Phases » (Visages et phases), C’est une galerie de portraits de personnes queer prises en Afrique du Sud ou ailleurs et qui couvrent toute une salle. La lumière est naturelle, la pose classique sur fond de rideau, de papier peint ou de mur brut, le traitement est en noir et blanc, chaque personne regarde de face, sans sourire. Chacun·e est habillé-e et coiffé-e avec soin dans son style personnel. Et chacun·e des regardeurs-regardeuses de l’exposition s’installe dans un face-à-face mutique de découverte des un.es et des autres. A ce jour plus de 500 photographies constituent cette archive documentaire en cours depuis 2006.
« Ma mission, dit-iel, est de ré-écrire une histoire de l’art visuel queer et transgenre pour que le monde entier connaisse notre résistance et notre existence à la hauteur des crimes de haine commis en Afrique du Sud et au-delà ». Chacun-e doit pouvoir vraiment être ce qu’il est, et obtenir le respect et la reconnaissance qui lui sont dus. Son exploration du portrait tente de montrer des images positives, et elles le sont rarement, voire pas du tout, ainsi que les valeurs esthétiques au sein des groupes lesbiens noirs sud-africains. Et d’ailleurs en regardant tous ces visages graves, on se demande bien pourquoi ces personnes dérangent. Est-ce leur singularité qui dénote dans notre monde standardisé ?
Quels autres travaux vous ont touchée ?
Une série difficile intitulée « Only Half the Picture, seulement la moitié de l’image », relative aux viols dits « correctifs » infligés aux lesbiennes pour les « guérir » de leur homosexualité, même si les images sont pudiques, présentant des victimes de ces actes odieux, les textes disent la violence infligée. Et c’est terrifiant. Car même si le mariage gay est autorisé en Afrique du Sud depuis 2006, pour rappel, ce ne fut qu’en 2013 en France !, il y a une recrudescence de crimes homophobes, queerphobes, transphobes et xénophobes.
Sinon j’ai vraiment apprécié la magnifique série d’autoportraits en noir et blanc de Zanele Muholi, intitulée SomnyamaNgonyama (« Salut à toi lionne noire », en zoulou, dans sa langue natale). En noir et blanc, la peau noircie par un pigment, l’artiste est parée d’accessoires de fortune comme des peignes, des éponges, des tuyaux, des draps, des pailles de fer, des pinces à linge, des cordes, des billets de banque, des gants en latex. Est-ce le regard intense, scrutateur qui nous dit : regarde-moi ? Aucune de ces femmes parées n’est jamais ridicule, jamais risible et jamais pathétique ou dérisoire. Au contraire, se dégage une fierté de reine comme le portrait avec les peignes argentés plantés dans un chignon rappelant le profil altier de Néfertiti reine d’Egypte.
Ces portraits contrastés sont aussi très graphiques, chaque élément réagissant comme un motif. C’est un très beau travail plastique. Son projet se terminera avec 365 images de l’artiste, autant de jours dans une année pendant lesquels une femme noire, lesbienne, doit vivre dans cette identité.
Zanele Muholi est né.e en 1972 à Umlazi, un quartier de Durban en Afrique du Sud. Elle est co-fondateur·trice du Forum pour la responsabilisation des femmes (FEW : Forum for the Empowerment of Women) et fondateur·trice d’Inkanyiso, un forum de médias queer et visuels, Muholi est également professeur·e honoraire à l’Université des Arts de Brême en Allemagne.
À voir absolument : Zanele Muholi, Maison européenne de la photographie à Paris, jusqu’au 21 mai 2023.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.