Aux portes de l'UE

Le « prêt de réparation » pour soutenir la défense de l’Ukraine et de l’Europe - la mission (im)possible ?

Photo de Max Kukurudziak sur Unsplash Le « prêt de réparation » pour soutenir la défense de l’Ukraine et de l’Europe - la mission (im)possible ?
Photo de Max Kukurudziak sur Unsplash

Chaque semaine, Lyudmyla Tautiyeva nous propose un aperçu de ce qu'il se passe aux frontières de l'Union européenne, traitant de sujets divers tels que la gouvernance, l’entreprenariat, ou encore l'innovation.

Le 23 octobre le Conseil européen s’est réuni pour discuter de la poursuite du soutien à l'Ukraine et de la défense de l’Europe d'ici à 2030. La récente proposition de la Commission visant à utiliser les avoirs russes gelés comme un « prêt de réparation » pour financer le soutien à l’Ukraine a également été abordée, sans résultat concret pour l’instant. En quoi consiste cette proposition de la Commission et pourquoi une telle mobilisation maintenant ?

La proposition de la Commission qualifiée de « prêt de réparation » permettrait à l’Ukraine de recevoir un prêt de 140 milliards d’euros des avoirs russes gelés en Europe pour financer ses efforts de défense et le déficit budgétaire important lié à la guerre. Ce prêt serait remboursé par l’Ukraine une fois la guerre terminée grâce aux réparations que la Russie devra payer.

Je rappelle que, dès le début de l’invasion de l’Ukraine, 300 milliards de dollars d’avoirs de la Banque centrale russe ont été gelés. Plus de la moitié de ces avoirs — soit 183 milliards d’euros — est détenue par Euroclear, une institution financière basée à Bruxelles. Le montant du prêt envisagé, soit 140 milliards d’euros, correspond aux obligations souveraines russes arrivant à échéance et qui, dans le contexte des sanctions, ne peuvent pas être versées à la Russie.

L’utilisation plus efficace des avoirs gelés russes en Europe pour soutenir l’Ukraine a été longuement débattue dans l’UE et au sein du G7 dans le contexte de l’affaiblissement de l’aide américaine à l’Ukraine en matière de défense depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Plus encore, l’Europe se trouve elle-même dans une situation budgétaire et économique compliquée et subit la pression croissante sur sa propre défense suite à plusieurs intrusions de drones et d’avions russes dans l’espace aérien des pays européens. Soutenir l’effort de défense des Ukrainiens est devenu un impératif pour la sécurité européenne alors que les ambitions de Poutine n’ont pas de frontières et les menaces du Kremlin contre l’UE ne cessent d’augmenter.

Quelle est la perspective pour que ce prêt de réparation devienne une réalité ? Est-ce qu’il y a des pays qui bloquent cette solution et pour quelle raison ?

Le Conseil européen a indiqué dans son communiqué que la décision finale sur le prêt proposé par la Commission sera prise en décembre 2025. Pour que cette décision soit favorable, plusieurs obstacles persistent.

Tout d’abord, il faut que les pays membres qui participeront à ce dispositif se mettent d’accord sur les modalités proposées, à savoir les garanties nationales du prêt en cas de refus de la Russie de payer les réparations à l’Ukraine. La Belgique, où se trouvent les avoirs concernés, a fait savoir qu’elle ne supporterait pas seule le risque de rétorsion de la Russie après l’émission du prêt, ni celui d’un éventuel non-paiement. Ces préoccupations, jugées légitimes, ont été entendues à Bruxelles : le dispositif prévoit que les États européens, ainsi que les membres du G7 comme le Royaume-Uni, garantiront le prêt.

Ensuite, il faudrait avoir l’accord des pays membres de l’UE pour la mise en place du dispositif et sur cela les 27 ne sont pas unis pour l’instant. La Pologne, les pays scandinaves et les pays baltes ont déjà apporté leur soutien ferme au projet alors que les pays comme la Hongrie et la Slovaquie dirigés par des sympathisants de Moscou s’y opposent. La France n’est pas entièrement convaincue de cette proposition non plus, tandis que l’Allemagne y est favorable en principe.

Enfin, et surtout, l’UE craint qu’une telle utilisation des avoirs russes gelés n’ait un impact négatif sur sa stabilité financière et sur la solidité de l’euro. L’argument repose sur l’idée que les investisseurs soient dissuadés de garder leurs avoirs en Europe et déstabiliserait les marchés financiers dans la zone euro. Cependant, l’analyse par l’institut de recherche ukrainien le Centre pour la stratégie économique montre que ces risques sont en réalité limités. L’étude de cas de l’immobilisation des avoirs russes en 2022 suivie par l’utilisation des revenus générés par ces avoirs pour soutenir l’Ukraine en 2024, n’ont pas provoqué de turbulences majeures sur les marchés.

Il y a un autre argument encore - celui de l’illégalité de la confiscation des avoirs gelés russes.

Dans le cas du prêt de réparation il ne s’agit pas de la confiscation des avoirs russes – on n’est pas là. Par contre, alors que le droit international stipule que les actifs souverains ne peuvent pas être confisqués, ce même droit international permet le recours à contre-mesures contre l’état qui a violé l’intégrité territoriale d’un autre état. Le droit international dans ce cas exige que les contre-mesures soient proportionnelles, temporaires et réversibles. La proposition du prêt de réparation, par exemple, respecte parfaitement ces conditions.

Enfin, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU adoptée en novembre 2022 a demandé à la Russie de compenser l’Ukraine pour l’ensemble des dommages causés par la guerre. Ces dommages sont actuellement estimés à plus de 170 milliards d’euros, tandis que le coût de la reconstruction dépasse 500 milliards.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.