Chaque semaine sur euradio, Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, nous ouvre son bloc-notes pour partager ses idées sur les questions d’actualité, en Europe et au-delà.
Aujourd’hui, vous interrogez la sémantique du débat sur le climat.
Commençons par un petit test de vocabulaire : quels sont les mots que vous utilisez avec l’adjectif « climatique » ?
Dites-vous
- « Réchauffement » climatique ?
- « Dérèglement » climatique ?
- « Crise » climatique ?
- « Catastrophe » climatique ?
- « Transition » climatique ?
Peut-être êtes-vous-même de ceux qui parlent avec mépris de « l'hystérie climatique », voire de « tyrannie climatique » ?
En fait, spontanément, il me semble que la plupart du temps, je me contente simplement de « changement climatique ».
Et vous avez raison !
Car le choix des mots qu’on utilise est éminemment politique quand il s’agit d’un domaine d’action collective qui se situe pour une bonne partie dans un avenir incertain et dont les orientations doivent encore être définies, idéalement de manière démocratique et éclairée.
Qu’on choisisse ses mots de manière délibérée ou tout à fait inconsciente, ils ne sont pas sans impact sur la perception même de ce qu’on est en train de décrire.
Prenez le terme « crise climatique ». Les crises politiques, notamment les crises transnationales, sont perçues comme des moments où il y a un avant et un après. Évoquer une « crise » suggère qu’un équilibre plus ou moins durable est gravement déstabilisé par un phénomène assez soudain, et qu’il est impératif d’opérer les bonnes interventions pour que cela revienne à l’équilibre.
« Crise » est un terme tellement appliqué sur des situations qui peuvent être dramatiques, mais dont on sait apprécier les tenants et les aboutissants, qu’il sert involontairement à minimiser l’impact de ce qui nous attend sur le plan climatique.
Vaut-il alors mieux annoncer « une catastrophe climatique » ?
Non plus. Le mot « catastrophe » suggère un cataclysme soudain, face auquel on est impuissant et qui a des conséquences terribles.
Mais la rhétorique de la grande catastrophe à venir, l’annonce d’une apocalypse à dimension biblique ou d’un effondrement total comme l’anticipe la « collapsologie », est aussi contre-productive que l’euphémisme de la crise. Elle amène des comportements qui hésitent entre une anxiété paralysante ou un activisme habité par des certitudes inébranlables, deux attitudes qui sur la durée risquent de se durcir sans véritablement faire avancer le débat rationnel dont on aura besoin.
Restons donc sur le bon vieux « changement climatique ».
Oui, tout compte fait, cela reste l'expression la plus adéquate. Le « changement », c’est un terme qui renvoie à un processus qui se poursuit sur la durée. C’est un mot qui fait avancer les discours actuels, toujours focalisés sur une « atténuation » de plus en plus illusoire, vers des solutions d’ « adaptation » (et leur mise en œuvre juste et équitable).
Surtout, c'est un mot qui ne porte aucun jugement, mais reflète simplement un consensus scientifique.
Cela ne l’empêchera pas d'être contesté par ceux·celles qu'on appelle les « climatosceptiques ».
Non, il faudra se préparer à ce que la mise en cause du changement climatique devienne de plus en plus virulente, au fur et à mesure que le changement climatique impose un changement de comportement au présent plutôt qu'au futur. L’agressivité des commentaires qu'on trouve désormais sous n'importe quelle prise de position, jusque dans un réseau social calme et poli comme LinkedIn, annonce des conflits qui ne resteront pas verbaux.
L'enquête très récente qu’a consacrée la Fondation Jean Jaurès à ce sujet est éclairante : elle démontre, je la cite, que « le climatoscepticisme n’est pas une affaire d’ignorance : même parmi les catégories les plus éduquées de la population, l’idéologie est un facteur suffisamment puissant pour prendre le pas sur la connaissance. »
Il est d'autant plus important de bien choisir ses mots, afin de rester sur un lexique rationnel, neutre, et calme.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.