Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Vous l’avez annoncé la semaine dernière : cap sur l’Ecosse aujourd’hui. Où l’on vote le 6 mai prochain.
Oui, c’est dans une semaine et c’est, comme toujours, un jeudi. D’ailleurs, les Ecossais ne seront pas les seuls à aller aux urnes, il y a aussi les Gallois, ainsi que les Londoniens, appelés à élire leur maire et la London Assembly qui contrôle ce dernier.
Ceci dit, c’est bien l’élection en Ecosse qui attire tous les regards, non pas parce qu’il y aurait un grand suspense – il n’y en a aucun – mais parce que derrière se pointe déjà la question cruciale d’un deuxième référendum sur l’indépendance, après celui de 2014. Mais parlons d’abord des élections elles-mêmes.
Justement. Vous nous avez offert un « stage de proportionnelle » il y a quelques semaines. Mais au Royaume-Uni, c’est bien la tradition du scrutin uninominal majoritaire, non ? Comme lors des législatives en France.
Eh bien, détrompez-vous. Ce que vous dites est vrai pour les élections législatives britanniques, mais pour les nouvelles assemblées régionales issues du « processus de dévolution » lancée par Tony Blair vers la fin des années 90, ce n’est pas la même chose. Le parlement écossais n’existe que depuis 1999, et ses 129 députés sont déterminés par une savante combinaison entre le scrutin proportionnel et le scrutin uninominal dans les 73 circonscriptions. D’une manière ou d’une autre, le vainqueur de jeudi prochain ne fait pas de doute : ce sera la Scottish National Party (SNP), sous la direction de Nicola Sturgeon, l’actuelle « First Minister », et ce malgré une guerre intestine récente.
Et la raison d’être du Parti national écossais, nous le savons depuis 20 ans, est l’indépendance. En fait, c’est comme le Brexit, mais au sein même du Royaume-Uni cette fois-ci.
Cela ne manque pas d’ironie, effectivement. Même si l’annonce de l’implosion ou de l’éclatement du Royaume-Uni – un thème particulièrement affectionné par les médias français, va savoir pourquoi – me paraît un peu prématuré.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que le Brexit a rendu la question de l’indépendance à la fois plus légitime et plus compliquée.
Vous pouvez développer ?
La demande d’un nouveau référendum seulement sept ans après le premier – et alors que le slogan « une fois par génération » faisait consensus – est légitimisé par le Brexit intervenu entretemps et qui a changé la donne et les enjeux. Rappelons que 62% des Ecossais votaient pour le maintien de leur pays dans l’Union européenne en 2016. C’est un argument qui tient la route.
Mais paradoxalement, le Brexit a aussi pour conséquence qu’une Ecosse indépendante, contrairement à la situation de 2014, serait amenée – marché unique oblige – à instaurer une frontière terrestre – et monétaire ! – avec le pays tiers qu’est devenu le reste du Royaume-Uni. C’est tout sauf évident, comme on a tout loisir de constater actuellement en Irlande-du-Nord. Et vu les liens essentiels de l’économie écossaise avec l’Angleterre (dix fois plus peuplée qu’elle), cela pourrait refroidir les ardeurs de certains. Tout comme la fatigue de la pandémie et le succès relatif de la campagne vaccinale britannique.
Et l’Union européenne, quelle est sa position ?
Elle se garde bien d’en avoir une ! Ce qu’on veut éviter à tout prix à Bruxelles, c’est une situation catalane. Un vote en faveur d’une indépendance écossaise serait reconnu uniquement dans le cas où le gouvernement à Londres aurait donné son accord explicite à la tenue d’un nouveau référendum. Ce que la loi exige et ce que Boris Johnson refuse de faire pour l’instant.
C’est donc loin d’être fait, cette Ecosse indépendante, candidate au retour dans l’Union européenne.
D’autant que le « oui » et le « non » se tiennent dans un mouchoir de poche dans les sondages. Pour être sûr d’avoir gain de cause, le Scottish National Party devrait peut-être patienter quelques années, même si cela fait des mécontents parmi les séparatistes purs et durs. Histoire de voir d’abord les effets du Brexit à moyen terme, de regarder ce qui se passe en Irlande, et de laisser la démographie faire son œuvre. Car c’est parmi les jeunes que l’idée d’indépendance est le plus populaire.
En attendant, cela n’empêche pas de faire tranquillement du lobbying avec les autres Etats-membres de l’Union. Je vous mets le lien vers une petite vidéo officielle (1) assez étonnante et gentiment mélo sur Youtube qui semble carrément annoncer le retour de l’Ecosse au bercail européen.D’ailleurs, le « Scotland House », la représentation de l’Ecosse à Bruxelles, est directement situé sur le Rond-Point Schuman, faisant face au bureau des Pays-de-la-Loire.
Eh bien, quel que soit le résultat des élections, on restera bons voisins !
Laurence Aubron - Albrecht Sonntag
(1) Scotland Is Here | Scotland Is Now
Toutes les éditos d'Albrecht Sonntag sont à retrouver juste ici
Image par M W de Pixabay