Comme toutes les semaines nous retrouvons le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Aujourd’hui, vous souhaitez revenir sur des échanges diplomatiques de la semaine dernière.
Oui, j’étais à Bruxelles, invité par le MOVE Congress, grand événement annuel de la société civile sportive, organisé par l’Association Internationale du Sport et de la Culture, ISCA, basée au Danemark. Et cette année, le programme a réservé une place importante à la diplomatie sportive.
Et que ramenez-vous dans vos bagages de cet événement ? Vous nous avez déjà parlé de la diplomatie du sport sur cette année, la dernière fois en avril dernier, au sujet du 50ème anniversaire de la fameuse « diplomatie du ping-pong » entre les Etats-Unis et la Chine.
Vous ne serez pas surpris que la Chine ait été, une fois de plus, au centre des débats.
Comme le Qatar, d’ailleurs, à tout juste un an de la Coupe du monde de football.
Et dans les deux cas, les contradictions du mouvement sportif sont apparues au grand jour.
Sur le Qatar, on a eu droit à la controverse bien connue entre ceux qui sont scandalisés par la violation des droits humains dans cet émirat – on pense surtout au sort réservé à l’armée de travailleurs étrangers recrutés pour construire les stades – et ceux qui expliquent, non sans justification, que tout n’est pas parfait, mais que cette Coupe du monde a fait avancer beaucoup de choses au Qatar, justement à cause de l’intérêt médiatique qu’elle suscite depuis dix ans.
Mais revenons à la Chine. Difficile d’éviter le sujet à quelques semaines des Jeux Olympiques d’hiver à Beijing et à un moment où la disparition soudaine de la joueuse de tennis, Peng Shuai, a suscité une indignation mondiale.
J’ai eu l’occasion de débattre sur scène avec un dirigeant du Comité Internationale Olympique, un homme intègre, dont les réponses ont reflété toutes les difficultés et les incohérences du mouvement sportif face à des régimes peu fréquentables mais qu’on fréquente quand même, car quelle serait l’alternative ?
Il a certes eu raison de rappeler les circonstances de l’attribution de ces JO d’hiver à Beijing. C’était en 2013 – sous-entendu : c’était une autre Chine que celle d’aujourd’hui, bien moins menaçante et agressive – et après le retrait d’Oslo, il n’y avait plus qu’un seul autre candidat, Almaty, au Kazakhstan.
Mais il a aussi reconnu que le CIO ne peut tout simplement pas se passer des recettes générées par les JO. Pour simplifier, c’est sa seule, énorme, source de revenus, qui lui permet de redistribuer des moyens à des sports qui ne font pas l’objet d’une couverture médiatique comme le football, mais dont certains ont une grande utilité sociale et culturelle.
Et personne n’a mis sur la table la question d’un boycott lors de vos discussions ?
Oh, si ! Bien sûr, il a été question de cette option. Et là aussi, les arguments ont été très contradictoires. Le député européen Marc Tarabella, engagé depuis longtemps pour le sport, a tenu à rappeler que les boycotts ne pénalisaient que les athlètes en les privant d’un événement auquel ils se sont consacrés durant quatre ans.
Franchement, ça se discute. S’il est vrai que les boycotts relèvent souvent de la gesticulation vaine et n’ont guère d’impact sur les régimes visés, il n’y a quand même pas une obligation morale envers des athlètes de leur permettre à se rendre à intervalles régulières à des méga-événements sportifs organisés à l’autre bout du monde.
Et le « boycott diplomatique » alors ? On envoie ses athlètes, mais aucun dirigeant politique ne se rend à l’événement. Est-ce une alternative ?
A mon humble avis, un boycott diplomatique, cela vise surtout l’opinion publique à la maison. Croyez-vous que l’absence démonstrative d’Emmanuel Macron à la finale de la Coupe du monde 2018 en Russie aurait eu un effet quelconque sur les pratiques politique de Vladimir Poutine ? Autant y aller pour s’épargner la critique de l’arrogance devant une passion populaire.
Il n’y a pas une seule conférence consacrée à la diplomatie sportive où quelqu’un ne sort pas la phrase de Nelson Mandela selon laquelle « le sport a le pouvoir de changer le monde ». C’est beau, cela ne coûte rien de citer un grand homme, et ce n’est pas entièrement faux. Le sport peut effectivement transporter des valeurs susceptibles de changer des vies, même si c’est notamment sur un plan local, modeste, qu’il y arrive, plutôt que lors de méga-événements.
Mais si le sport avait le pouvoir de changer des régimes politiques, cela se saurait.
Photo : Claude TRUONG-NGOC via Wikimedia
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