Chaque semaine sur euradio, Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, nous ouvre son bloc-notes pour partager ses idées sur les questions d’actualité, en Europe et au-delà.
Cela faisait longtemps qu’on n’a pas parlé de football !
Bien trop longtemps ! Mais l’une des fonctions principales du football – qui oscille en permanence entre futilité des discours et gravité des émotions – est quand même de donner un peu de répit à une actualité trop pesante. Même les psychodrames au PSG apportent un brin de légèreté dans un monde déprimant.
Donc, il ne sera pas question de guerre et de paix cette semaine !
Si, on y vient. Car le football, on l’a vu avec la Coupe du monde au Qatar, est une passion mondiale désespérément politique, malgré lui souvent.
J’ai choisi trois matches sur mille pour ma chronique d’aujourd’hui. Mille, parce que l’équipe nationale d’Allemagne s’apprête à jouer le millième match de son histoire depuis le tout premier en 1908. En Europe, il n’y a que l’Angleterre qui a fait mieux (elle en est à 1043), mais elle avait commencé 26 ans plutôt, avec la première rencontre internationale contre l’Écosse. La France, l’Italie et la Suisse s’approchent des 900 matches, c’est tout aussi remarquable. Mais mille, c’est quelque chose. J’espère que vous êtes impressionnée.
Je le suis, je vous assure ! Et quels sont donc les trois que vous avez sélectionnés ?
Je vais vous épargner toutes ces finales de Coupe du monde et de Championnat d’Europe que l’Allemagne a joués. Au contraire, je vous ai choisi trois rencontres amicales.
La première est le numéro 199, qui a eu lieu le 22 novembre 1950. C’est la Suisse qui est la première à accepter de venir jouer dans un pays banni du football international depuis la guerre, exclue du Mondial en 1950. Il fait un temps exécrable à Stuttgart, mais dans l’arène conçue pour accueillir 60 000 spectateurs – et qui, quelques années auparavant portait encore le nom de Stade Adolf Hitler – se tassent 110 000 personnes, jusqu’aux lignes de touche tout autour du terrain [voir la vidéo tout en bas de l’article]. Sur le plan sécuritaire, c’est carrément irresponsable de lancer le match, mais la soif collective de cette reconnaissance symbolique est trop forte. Comme si la nouvelle République, née en 1949, fêtait enfin son baptême.
Je suis d’accord, celui-là mérite bien d’être dans la liste des top-3.
On va faire un petit saut, cinq ans plus tard, le 21 août 1955, match numéro 230. Tout a changé : la République fédérale est non seulement en train d’accomplir son « miracle économique » de l’après-guerre, mais elle a même remporté, à la surprise générale, la Coupe du monde 1954 en Suisse. Sans oublier l’adhésion à l’OTAN, au mois de mai 1955, et par conséquent, un début de réarmement.
Il reste cependant une vraie interrogation : que deviendront les 15 000 prisonniers de guerre, soldats et civils, qui sont toujours retenus dans des camps de travail en Union soviétique, dans des conditions, disons, problématiques ?
Le chancelier Konrad Adenauer s’apprête à aller au Kremlin pour demander leur libération. Et c’est là, juste en amont de son voyage, que le football tâte le terrain, avec un match amical des champions du monde à Moscou. Comment vont réagir les spectateurs russes ? Eh bien, ils réservent un accueil chaleureux aux deux sélections qui entrent sur le terrain en leur remettant des bouquets de fleurs. Aucun incident, bien au contraire. Le chancelier peut venir. Et entre octobre et janvier, tous les prisonniers rentrent chez eux.
Le foot tâte le terrain, c’est le cas de le dire ! Et votre troisième alors ?
C’est très simple, c’est le millième qui aura lieu le 12 juin prochain, à Brème. Pour marquer ce moment exceptionnel dans une histoire vieille de 115 ans et jalonnée d’événements gravés dans la mémoire collective populaire, la fédération allemande a eu l’élégance d’inviter l’Ukraine. Dans le but, je cite son président, « d’envoyer un signal clair en faveur de la paix et de l'entente entre les peuples et contre la guerre ».
Afin de permettre à un maximum de familles d’y assister, le coup d’envoi a été avancé à 18h00, et les recettes seront versées à des associations sociales et humanitaires qui œuvrent en Ukraine.
Comme quoi football et politique, ce n’est pas forcément une histoire de polémiques et de controverses. Merci de votre petite leçon d’histoire populaire !
C’est avec plaisir. Je constate d’ailleurs que vous ne m’avez même pas demandé les résultats. Allez, je vous les donne rapidement : une courte victoire de 1-0 contre la Suisse en 1950, une courte défaite de 3-2 à Moscou en 1955, et pour la rencontre avec l’Ukraine, tout le monde s’en fout !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.