Le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers, tous les vendredis sur les ondes d'euradio.
Aujourd’hui, vous nous emmenez en Europe centrale.
Je vous recommande de mettre votre ceinture de sécurité. Car cela a l’air de secouer un peu dans cette bonne vieille « Mitteleuropa ». De Varsovie à Prague et de Budapest à Vienne, ces derniers jours ont été animés, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans chaque pays, pour une raison différente. On récapitule :
- En Autriche, démission du chancelier Sebastian Kurz, suite à des révélations sur un système de sondages truqués et articles achetés qui semblent avoir pavé son chemin vers le pouvoir. L’homme qui le remplace, Alexander Schallenberg, doit être le premier chancelier autrichien qui a fait ses études, tenez-vous bien : au Collège d’Europe de Bruges !
- En République tchèque, défaite surprise du premier ministre Andrej Babiš, mêlé à de nombreuses affaires louches impliquant des financements européens, face à une coalition menée par un Professeur d’université de province.
- En Pologne, suite à l’appel de l’ancien président du Conseil de l’UE, Donald Tusk, des manifestations massives dans toutes les grandes villes en réaction à la mise en cause de la suprématie de la loi européenne et la menace d’un « Polexit ».
Et en Hongrie, peut-être un peu moins spectaculaire mais pas moins important pour autant, un pas très important vers la désignation d’un candidat unique de l’opposition pour défier Victor Orbán en avril 2022.
Quatre événements très différents dans quatre pays très différents. Ont-ils quelque chose en commun ?
Peut-être d’abord la surprise qu’ils suscitent. On s’était tellement habitué à voir les dirigeants de l’Europe centrale user de toute la panoplie des outils rhétoriques et institutionnels du manuel du populisme, sans être vraiment inquiétés. Là, en l’espace d’un week-end, pour des motifs certes très différents, ils ont enfin un peu de vent en face.
Ensuite, les élections, les manifestations, et même l’enquête poussant Monsieur Kurz à la démission, elles montrent que la démocratie, quoi qu’on en dise, n’est pas sans mécanismes de défense contre ceux qui veulent l’instrumentaliser à leur propre service. C’est rassurant, même si on n’a pour l’instant aucune visibilité sur l’évolution à court et moyen terme.
Effectivement, il n’y a pas mal de confusion dans l’air, en ce moment, vous ne trouvez pas ?
Vous avez raison.
- Le président tchèque, Miloš Zeman, est à l’hôpital, personne ne sait ce qui va se passer dans les jours qui viennent.
- Ce n’est pas des manifestations dans les centres urbains qui vont infléchir l’attitude idéologique du parti PiS au pouvoir en Pologne.
- Sebastian Kurz garde la main ferme sur son parti et risque, même avec une réputation passablement écornée, de revenir par la grande porte à un moment ou un autre.
- Et Victor Orbán a plus d’un tour cynique dans son sac en préparant l’échéance électorale du printemps prochain.
Il y a donc effectivement beaucoup de confusion et de l’incertitude dans l’air, mais au moins, il y a de l’air ! En quelque sorte, il y a des fenêtres qui se sont ouvertes. C’est vrai, elles peuvent se fermer rapidement, mais en attendant, il y a comme un petit bol d’air frais.
Au-delà de ce constat – et peu importe si on s’en réjouit ou non – il y a la confirmation d’une tendance profonde. Je parle de l’approfondissement d’un clivage socio-économique et culturel que nous connaissons bien en France et qu’on peut observer dans un grand nombre de pays : celui entre les habitants des grands centres urbains et la population des zones rurales et périphériques. Que ce soit en Pologne, en Tchéquie, ou en Hongrie, le danger pour les dirigeants populistes, europhobes, et souvent illibéraux viendra des grandes métropoles, ouvertes sur le monde, europhiles, davantage tournées vers l’avenir que vers le passé. Ce n’est pas un hasard si elles sont quasiment toutes dirigées par des individus qui se situent à des années-lumière de l’idéologie du pouvoir central.
C’est un clivage qui va nécessairement amener une polarisation toujours plus aiguë dans le débat public, avec son cortège de conséquences indésirables. Dans les quatre pays dont on a parlé aujourd’hui, la polarisation a été voulue et intensifiée par les dirigeants en place, souvent en appliquant des méthodes discutables. Il n’est pas impossible qu’ils doivent désormais faire face à une partie de la population qui a relevé le gant et qui semble décidée à unir ses forces. A leur grande surprise, elle pourrait s’avérer majoritaire.
A suivre de près, dans chacun des cas, dans les mois qui viennent. Tel que je vous connais, vous n’hésiterez pas à y revenir en fonction des développements.
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