Le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers, tous les vendredis sur les ondes d'euradio.
Aujourd’hui au menu : un prix Nobel, attribué il y a 50 ans.
Avant ce retour en arrière, permettez-moi de vous poser une question personnelle : cela a dû vous toucher que le prix Nobel de la paix 2021 ait été attribué, il y a quelques jours, à deux journalistes courageux et emblématiques, Dmitri Mouratov et Maria Ressa, n’est-ce pas ?
Ah oui, je l’avoue bien volontiers. Symboliquement, cela a été très fort. Une marque de reconnaissance pour l’utilité et la nécessité de notre travail au quotidien. C’est vrai que cela m’a émue.
Vous le dites très bien : c’est la reconnaissance symbolique qui compte, la récompense des efforts accomplis et l’encouragement à les poursuive qu’elle exprime. Et sans être moi-même journaliste, je partage votre joie de voir ainsi rappelé le caractère indispensable du travail journalistique pour la paix et la démocratie (deux vieilles associées soit dit en passant).
Il est étonnant, le prestige que confère le prix Nobel pour la paix. Et il est retentissant, l’écho qu’il suscite sur une échelle planétaire. Malgré quelques erreurs manifestes et incontestables dans le choix de certains lauréats, malgré les critiques adressées au prisme occidental d’une récompense inventée à la grande époque de l’impérialisme colonial, le prix Nobel a su préserver cette aura de distinction suprême.
Dans le court-terme, au moment de l’attribution, il y a un gain de notoriété extraordinaire, notamment pour des héros de la vie ordinaire, inconnus du grand public. Mais même pour des acteurs politiques déjà connus, il peut changer la donne, légitimer leur action, augmenter leur influence. Et certains prix ont même un impact insoupçonné sur le long terme.
Evoquons alors celui qui a été attribué il y a cinquante ans exactement, le 20 octobre 1971. Quand j’ai découvert votre sujet de la semaine, je suis vite allée vérifier sur Wikipédia : le lauréat, c’était Willy Brandt.
Exactement. 26 ans seulement après la fin de la Seconde guerre mondiale, un leader politique allemand est distingué pour sa contribution à la paix. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer ce que cela représentait pour la République fédérale, terrain d’affrontement de la Guerre froide, et même pas encore admise aux Nations-Unies. Le prix fut ressenti comme une tape amicale sur son épaule qui signifiait : « Tu es sur le bon chemin – continue comme ça ! »
J’avais neuf ans, mes parents – qui n’avaient même pas voté pour Willy Brandt en 1969 – étaient drôlement émus, mon institutrice aussi.
Aujourd’hui, on comprend que le prix récompensait une œuvre de réconciliation et de rapprochement avec ses voisins, notamment à travers le rideau de fer. Mieux encore : il en a fait un choix quasi-irréversible, quel que soit le parti au pouvoir en Allemagne. Et je pense qu’il appréciait aussi une attitude de repentance, un terme systématiquement (et à tort) tourné en dérision par les politiques français d’aujourd’hui, mais qui seyait bien à l’Allemagne de l’après-guerre et qui avait été incarnée par Willy Brandt lui-même dans le geste de l’agenouillement devant le mémorial des morts du ghetto de Varsovie, en décembre 1970.
Peut-on dire que ce prix est en quelque sorte un moment charnière dans l’histoire de l’Allemagne ?
Absolument. Et de par son impact sur les relations est-ouest, c’est aussi un moment charnière sur le chemin de la réunification de l’Europe. La politique inspirée par Willy Brandt a certainement contribué à faire advenir la chute des régimes communistes de l’est du continent. Moment charnière surtout pour la réputation de l’Allemagne. L’année d’après, Heinrich Böll a reçu le prix Nobel de la littérature. La langue allemande n’était plus seulement celle des bourreaux des films de guerre, mais son renouveau littéraire était jugé digne d’intérêt.
Et aujourd’hui, c’est l’un des pays les plus respectés dans le monde entier.
Il y a quelques jours, je suis tombé sur une grande enquête du PEW Research Centre, institut américain de renom. Elle confirme ce que vous dites : le monde semble tenir l’Allemagne en très haut estime, avec 80% d’opinions favorables à travers un grand nombre de pays. Et l’année dernière déjà, dans un sondage mondial IPSOS-MORI, 78% des répondants accordait à l’Allemagne, je cite « une influence positive sur le monde dans la décennie à venir ».
Bon, un sondage, cela vaut ce que cela vaut, et pour une Allemagne qui assumerait davantage de responsabilités sur la scène internationale, ces chiffres finiront par baisser. N’empêche : on aurait dit cela à mes parents en 1971, ils seraient tombés de leur chaise !
Etonnante évolution, effectivement. Et dans laquelle le prix Nobel de la paix pour Willy Brandt a de toute évidence joué un rôle non-négligeable.
On vous retrouve la semaine prochaine !
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