Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.
Bonjour Jeanette Süß vous êtes chercheuse au CERFA le comité d'études des relations franco allemandes à l'IFRI. Pour votre première chronique, vous voulez nous parler des résultats des élections régionales en Allemagne qui se sont tenues le 1er et le 22 septembre. Vous venez de publier une analyse sur le sujet.
Quelle est la principale leçon à tirer de ces élections régionales en Thuringe, Saxe et dans le Brandebourg ?
Le parti d’extrême droite, l'Alternative für Deutschland (AfD), a renforcé son assise en Allemagne de l'Est. Pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale, un parti classé d'extrême droite et surveillé par plusieurs offices régionaux pour la protection de la constitution est devenu la première force politique, avec 32,8 % des voix en Thuringe. L'AfD a surpassé les chrétiens-démocrates (CDU) et même Die LINKE, un parti qui dirigeait la région depuis 2014. En Saxe, l'AfD a atteint un score symbolique de 30,6 %, juste derrière la CDU (31,9 %) et dans le Brandebourg, le SPD a certes réussi à se maintenir mais elle est talonnée par l’AfD comme deuxième force. Un autre constat de ces élections : Le Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW), créé en janvier 2024 par Sahra Wagenknecht, ancienne figure emblématique de Die LINKE, l’ancien parti de gauche radical, est le nouveau venu dans le paysage politique allemand. Ce parti populiste de gauche qui combine des idées de droite et de gauche dans son programme, a réalisé une percée remarquable lors des élections régionales, obtenant 15,9 % des voix en Thuringe, 11,9 % en Saxe, et 14,7 % dans le Brandebourg.
Ce succès de l’AfD ainsi que du BSW témoigne donc de la montée en puissance des extrêmes et d’une désaffection croissante de la part de la population envers les partis traditionnels.
Comment la montée des extrêmes peut-elle influencer la formation des gouvernements dans des régions comme la Thuringe et la Saxe ?
La montée des partis extrémistes, notamment l'AfD et le BSW, a radicalement changé la dynamique politique dans les Länder de l'Est. Pour l’instant, aucun parti ne souhaite former une coalition avec l’AfD, ce qui complique la formation d’un gouvernement stable. De plus, la CDU et le SPD ne parviennent pas à obtenir une majorité et ne peuvent plus s’appuyer sur les autres partis démocratiques comme les Libéraux et les Verts qui ne sont en grande partie plus représentés aux Parlements régionaux. En Saxe, la situation est similaire : les partis traditionnels ne parviennent pas à former une majorité suffisante. Une coalition entre la CDU et le BSW pourrait être envisagée, mais cela soulève des questions sur la coopération entre les conservateurs et ce nouveau parti populiste de gauche même si elle affiche des points en commun sur des sujets sociétaux, notamment dans le domaine de l’immigration. Le BSW a fait savoir qu’il attend un repositionnement de la CDU par rapport à la politique envers l’Ukraine comme il met en cause le soutien financier et militaire indéfectible de l’Allemagne. Il faut rappeler que cette campagne a été largement dominées par des sujets nationaux alors que les Länder n’ont pas de responsabilité politique en la matière.
Quels types d'électeurs l'AfD a-t-elle réussi à séduire lors de ces élections régionales de 2024, et pourquoi ?
L'AfD a réussi à attirer une base électorale diversifiée, bien au-delà de ses électeurs traditionnels. En plus des électeurs plus âgés, le parti a réalisé des gains importants chez les jeunes, obtenant entre 29 % et 35 % des voix des moins de 30 ans, contre 13 % à 15 % pour la CDU. Le succès de l'AfD auprès des jeunes électeurs est en partie dû à sa capacité à capter le sentiment d'insécurité socio-professionnelle qui prévaut chez cette génération. En outre, le parti a habilement utilisé les réseaux sociaux pour se présenter comme un mouvement politique alternatif, plutôt qu’un parti traditionnel, ce qui a résonné particulièrement bien auprès des jeunes.
Comment expliquez-vous la contre-performance des Verts dans ces élections régionales, notamment dans les Länder de l'Est ?
Les Verts ont connu une déroute électorale lors des élections régionales de 2024. En Thuringe, ils ont perdu 3,8 points, n’obtenant que 3,2 % des voix et ne sont donc plus représentés au parlement, tandis qu'en Saxe, ils sont tombés à 5,1 %, une baisse de 3,5 points. Le Brandebourg a vu des résultats similaires, avec seulement 5,3 % des voix, un déclin de près de 10 points. Ces faibles performances sont dues à plusieurs facteurs, notamment une campagne perçue comme éloignée des préoccupations des électeurs de l'Est, qui accordent plus d'importance à des thèmes tels que l'immigration et le pouvoir d’achat, que les questions environnementales portées par les Verts. Ces résultats mettent également en lumière les difficultés des Verts à s'imposer dans les Länder de l'Est, où leur message environnemental ne résonne pas de la même manière qu’en Allemagne de l’Ouest.
Quels impacts ces résultats pourraient-ils avoir sur l'avenir de la coalition au pouvoir à Berlin ?
La coalition « feu tricolore » en place à Berlin, est sérieusement affaiblie après ces élections régionales. Avec des résultats très faibles dans l'Est, elle doit désormais repenser sa stratégie en vue des élections fédérales de 2025. La faible performance du SPD, qui a atteint seulement 6,1 % en Thuringe et 7,3 % en Saxe, ainsi que celle des Verts, met en péril la capacité de la coalition à mobiliser un soutien suffisant. Ces revers électoraux ont également exacerbé les tensions internes au sein de la coalition, en particulier sur des questions comme l’immigration et la guerre en Ukraine. Les Libéraux ont même menacé de quitter la coalition avant la fin du mandat, c’est-à-dire à un an avant les prochaines élections fédérales. Cela pourrait rendre la campagne fédérale plus difficile et obliger les partis à ajuster leurs priorités pour regagner la confiance des électeurs.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
Pour aller plus loin : Briefing de Jeanette Süß pour l'IFRI.