Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.
Les élections européennes de 2024 en juin sont passées, et la nouvelle Commission européenne est en train d’être désignée. Quelle est la situation politique actuelle en France après la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre ? En quoi cela pourrait-il influencer la position de la France vis-à-vis de l’Europe ?
Michel Barnier, des Républicains, a été nommé Premier ministre pour stabiliser la gouvernance, après des mois de blocage politique. Bien que Macron conserve une influence majeure sur la politique européenne, Barnier voit l’Europe comme une responsabilité partagée entre président et Premier ministre.
Cela pourrait introduire plus de voix discordantes sur les questions européennes, notamment en matière de migration où Bruno Retailleau a déjà exprimé des positions différentes.
Avec la nomination de Michel Barnier, les Républicains gagnent en influence au sein de l'exécutif français. On peut s’attendre à plus de divergence en matière de migration où Retailleau souhaite renégocier les accords européens, une position que l’Élysée modère. Les Républicains pourraient adopter une approche plus souverainiste et moins intégrationniste que Macron en politique européenne.
Cette dualité pourrait compliquer l'image de la France comme acteur unifié en Europe. Mais La France n’est pas le seul pays qui est confrontée à des défis de légitimité politique. On constate un couple franco-allemand fragilisé.
Comment cette situation pourrait-elle impacter leur coopération au sein de l’Union européenne ?
En France, la coalition de Macron est en position minoritaire, rendant toute action vulnérable à des votes de confiance. En Allemagne, la coalition "feu tricolore" (SPD, Verts, FDP) est sous pression après des pertes aux élections régionales, puis est sur le bord de l’éclatement à l’heure actuelle.
Une faiblesse politique nationale pourrait limiter leur capacité à agir de manière décisive au niveau européen. On le voit déjà avec le gain en importance de Giorgia Meloni mais aussi Donald Tusk qui revient sur la scène politique , c’est-à-dire qu’il y a d’autres chefs d’Etat et de gouvernement qui remplissent ce vide politique
Emmanuel Macron a souligné la nécessité d'une Europe souveraine et compétitive. Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels l’UE fait face pour maintenir sa compétitivité sur la scène internationale ?
- Réduction de la bureaucratie pour renforcer l'agilité de l'UE.
- Investissements dans les technologies clés (intelligence artificielle, énergies renouvelables)
L'UE doit trouver un équilibre entre sa compétitivité et sa dépendance en matières premières qu’elle cherche à réduire vis-à-vis des pays tiers comme la Chine ou la Russie, notamment dans le domaine de l'énergie.
Comment l’alignement entre le discours d’Ursula von der Leyen et les priorités de Macron (souveraineté, sécurité, prospérité) influence-t-il la dynamique franco-allemande en matière de politique européenne ?
Les priorités de Macron et von der Leyen convergent fortement, notamment sur la souveraineté stratégique de l'Europe. Cela renforce l'influence française dans les institutions européennes, mais crée des tensions avec l'Allemagne, plus prudente sur certaines questions de la politique industrielle notamment. L'Allemagne, pays exportateur, craint des effets protectionnistes pour le commerce international.
L’Allemagne s'inquiète de voir la Commission adopter des politiques trop interventionnistes, influencées par la vision française qui souhaite davantage de protection des industries stratégiques, une politique industrielle plus proactive avec la création de "champions européens".
En même temps, les deux pays sont d’accord sur les principaux constats du rapport Draghi qui met en avant l’importance de la compétitivité et la finalisation du marché intérieur
La France a perdu en influence au sein des institutions européennes par rapport à l’Allemagne, qui contrôle désormais plusieurs commissions parlementaire clés. Quel impact cela pourrait-il avoir sur le pouvoir de la France au sein de l'UE ?
L''Allemagne contrôle la commission des affaires étrangères, la commission du commerce international, la commission du contrôle budgétaire, la commission du marché intérieur et la commission de la défense.
Une députée française siège certes à l'importante commission des affaires économiques (ECON, Aurore Lalucq, SD), mais la France disposait auparavant de deux commissions à part entière, la commission de l'environnement et la commission de la pêche. La France a toutefois obtenu la présidence de la sous-commission des droits de l'homme.
Bien que la tête de liste française du parti présidentiel Valérie Hayer ait réussi à se faire réélire à la tête du groupe Renew-Europe malgré la saignée de 23 à 13 députés français à l'issue des élections législatives, l'influence française au sein des institutions semble globalement affaiblie. L'ancien président de Renew-Europe et ancien ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a certes été promu vice-président exécutif, mais la Commission compte désormais 6 vice-présidents exécutifs au lieu de trois.
Face à des divergences en termes de pouvoir au sein de l’UE, quel va être le terrain d’entente pour cette nouvelle mandature qui s’amorce ?
Le but est de renforcer les dialogues bilatéraux et trilatéraux (triangle de Weimar) sur les priorités partagées (comme l'innovation technologique), et travailler à des solutions sectorielles plutôt qu'à une stratégie unique pour permettre des approches différenciées selon les industries. Par ailleurs, un nouveau conseil des ministres franco-allemands qui se tiendra probablement en janvier 2025 devrait faire émerger de nouvelles impulsions comment donner suite au rapport Draghi et à la feuille de route franco-allemande sur la compétitivité, esquissé en printemps 2024
Une interview réalisée par Laurence Aubron.