L'Europe et le monde

Acier : le réveil stratégique de l'Europe

Acier : le réveil stratégique de l'Europe

L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.

Ce mardi l’Union européenne a décidé soudainement d’augmenter les taxes sur l’acier importé. Pourquoi ?

Tout à fait. La Commission européenne vient d’annoncer qu’elle allait doubler les droits de douane sur l’acier importé. On passe de 25 % à 50 %. C’est une manière de protéger une industrie qui emploie encore 300.000 personnes directement et plus de 2.5 millions indirectement.

Et pourquoi maintenant ? Qu’est-ce qui a déclenché cette réaction ?

L’urgence est la concurrence déloyale chinoise. La Chine produit plus de la moitié de l’acier mondial, souvent subventionné, donc à bas prix. Résultat : les aciéries européennes ferment les unes après les autres. En 2024, 18.000 emplois ont été supprimés dans le secteur. L’Europe a compris qu’elle risquait de perdre un pilier stratégique de son économie.

Laurent : Donc, on parle d’un vrai changement de doctrine européenne ?

Exactement. L’Union européenne tourne le dos à son dogme du libre-échange absolu. Elle assume une forme de protectionnisme industriel. Comme le dit Stéphane Séjourné, le commissaire à l’industrie : « On ne décarbone pas en désindustrialisant ». C’est un message fort : l’Europe veut à la fois protéger ses emplois, son acier et sa transition verte.

Concrètement, que prévoit ce plan européen ?

D’abord, les quotas d’importation d’acier seront divisés par deux. L’Europe n’autorisera plus que 10 % de son marché à être couvert par des importations. Ces quotas seront réservés à des pays dits “fiables”, comme le Canada, la Norvège ou le Royaume-Uni. Et au-delà de ces quotas, les importations seront taxées à 50 %.

Ce n’est pas risqué pour les consommateurs européens ?

Bruxelles assure que non. Le surcoût serait d’environ 50 euros sur le prix d’une voiture, 1 euro pour une machine à laver. En échange, on sécurise des emplois et une production européenne plus propre. La Commission parle d’un « prix raisonnable de la souveraineté ». C’est aussi une manière de dire : mieux vaut payer un peu plus que dépendre entièrement de la Chine.

Justement, parlons-en. Est-ce vraiment la Chine le cœur du problème ?

Oui. Pékin inonde le marché mondial avec un acier bon marché. Elle a produit 1.000 millions de tonnes en 2024, quand toute l’Union européenne n’en produit qu’une centaine. Et avec la fermeture du marché américain, cet acier risque maintenant de se déverser sur l’Europe. D’où la réaction rapide de Bruxelles.

Donald Trump avait lui aussi relevé les taxes sur l’acier…

Exactement. Donald Trump a doublé ses propres tarifs à 50 % aussi. C’est le même niveau que celui que l’Europe applique désormais. Bruxelles espère d’ailleurs transformer cette guerre commerciale en alliance avec Washington contre la Chine. Mais pour l’instant, les États-Unis n’ont pas répondu positivement. L’Europe se retrouve donc encore entre la Chine et les États-Unis. Mais cette fois, elle agit. Elle assume de défendre son industrie, de parler de souveraineté économique. C’est aussi symbolique : l’Europe s’est construite dans les années 1950 autour du charbon et de l’acier. C’est comme un retour aux racines.

C’est donc une décision économique, mais aussi politique et stratégique ?

Complètement. Derrière l’acier, il y a une vision : garder la maîtrise de nos chaînes de valeur, de notre production, et de notre transition écologique. C’est aussi une question de sécurité : si l’Europe ne produit plus son acier, elle devient dépendante des autres puissances.

Un entretien réalisé par Laurent Pététin.