Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait de peintres, sculptrices, poètes à s’être taillée une place loin du rôle de la muse.
Vous dédiez votre chronique d’aujourd’hui à une femme artiste allemande : Unica Zürn
Exactement, et je suis très heureuse de le faire car parler de cette figure du surréalisme me tient tout particulièrement à cœur. Vous savez, on juge habituellement la valeur d’un artiste à l’héritage qu’il lègue à la postérité - sa legacy comme disent les anglo-saxons.
Et pendant très longtemps, ce que l’histoire a retenu d’Unica Zürn sont les graves problèmes de santé mentale qui l’ont poussé à mettre fin à sa vie en 1970, à l’âge de 54 ans. Mais reprenons, si vous le voulez bien au tout début. Unica Zürn naît le 6 juillet 1916 à Berlin-Grunewald. Son père, Ralph Zürn, est un officier de cavalerie passionné de voyages. Leur maison est peuplée de Bouddhas indiens, tapis chinois et meubles d’Arabie sculptés rapportés de ses voyages.
Des images qui ont, j’imagine, influencé son art plus tard ?
Oh oui, d’autant que cette période est peut-être la plus heureuse, sinon la plus paisible de sa vie. En 1930 alors qu’elle a 14 ans, ses parents divorcent et sa mère se remarie moins d’un an après avec Heinrich Doehle, un futur haut dignitaire nazi, proche d’Hitler. Pour Unica c’est le début d’une période sombre, tandis que son pays plonge dans le nazisme. Sans grande passion, elle commence à travailler dans l’industrie du cinéma, d’abord comme sténotypiste puis scénariste de films publicitaires. En 1942, à 26 ans, elle se marie avec un commerçant appelé Erich Laupenmühlen. Deux enfants suivront, Katrin en 1943 et Christian en 1945.
Elle semble bien partie pour mener une vie plutôt normale, non?
Oui, mais. Tout n’est pas rose au foyer Laupenmühlen. Erich est infidèle, distant. Unica, frustrée de cette vie. Et si elle aime son fils et sa fille plus que tout, en 1949, sept ans après leur mariage, elle demande le divorce et laisse la garde des enfants à leur père. Elle s’enfonce dans les ruines berlinoise, dans cette nuit si particulière de l’après-guerre en Allemagne et commence à créer, des contes radiophoniques et des nouvelles.
Et puis un jour de 1953, elle rencontre dans une galerie, Hans Bellmer, artiste allemand surréaliste de 51 ans qui vit la plupart du temps à Paris. Unica a 37 ans, et, sans se retourner, elle fait ses bagages, et quitte sa vie à Berlin pour la France. Avec Hans, ils s’installent dans un studio étriqué rue Mouffetard qui deviendra leur huis clos passionnel.
Pour Unica Zürn, Paris est la ville de la passion avec Bellmer, mais elle est aussi celle de la création
Enfin, elle a l’espace pour s’exprimer. Elle se met entre autres à la création d’anagrammes, jeu qui consiste à changer l’ordre des lettres et aux dessins à l’encre. Un an après son installation à Paris, elle publie son premier texte: Hexentexte (texte de sorcière). C’est l’effusion du surréalisme de l’après-guerre et avec Bellmer, la relation artistique est intense. Entre eros et thanatos, ils explorent ensemble les thèmes du sadisme, chers à Bellmer. C’est à cette époque que Unica commence à sombrer peu à peu dans l’auto-destruction.
Elle découvre la mescaline, psychotrope puissant. En 1960, au cours d’un séjour à Berlin, c’est la première fois qu’elle y retourne, elle est internée en psychiatrie après une dépression nerveuse. On lui diagnostique une schizophrénie. À partir de là, sa vie est rythmée par des séjours à Sainte-Anne et à Maison Blanche. Malgré sa maladie, elle ne cesse jamais de créer.
Elle écrit ses deux œuvres autobiographiques majeures, en partie lors de ses internements : L’homme-jasmin et Sombre printemps. Mais en 1970, pendant une permission de sortie, elle se suicide en se jetant de l’appartement qu’elle partageait avec Bellmer, elle avait 54 ans. Une petite chronique, ce n’est pas suffisant pour faire honneur à l’œuvre et la vie d’Unica Zürn, donc je vous encourage à aller voir le catalogue de l’exposition qui lui a été dédiée en 2020 au Musée d’Art et d’Histoire de Sainte-Anne.