Les histoires d'Europe de Quentin Dickinson

L'Europe sur les rails

Photo de Jonny Gios sur Unsplash L'Europe sur les rails
Photo de Jonny Gios sur Unsplash

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Cette semaine, Quentin Dickinson, vos Histoires d’Europe commencent par un anniversaire…

…et cet anniversaire, fêté ces jours-ci, est le deux-centième de l’inauguration de la première ligne de chemin de fer du monde dédiée au transport régulier de voyageurs. Cette ligne permettait, pour une somme modique, de parcourir en une heure et demie les 18 kilomètres qui séparent les petites villes de DARLINGTON et de STOCKTON-on-TEES, situées dans le Comté de DURHAM dans le nord-est de l’Angleterre. Le voyage inaugural, lui, dura plus de deux heures, en raison de deux incidents : une roue de wagon détachée et une perte de pression de la locomotive ; on déplora un blessé grave parmi les quelque six cents personnes qui s’étaient tant bien que mal entassées dans les douze berlines, servant jusque-là au transport du charbon de la mine voisine.

Aujourd’hui, la même liaison ferroviaire est réalisée en trente-trois minutes.

C’est en somme le début d’une époque héroïque…

…une époque, dont les ingénieurs et les investisseurs pressentaient un développement spectaculaire, et, pour une fois, ils ne se trompaient pas.

Dix ans plus tard, en 1835, la première ligne ouverte aux voyageurs en Europe continentale allait relier BRUXELLES, capitale du tout récent Royaume de Belgique, à la ville de MALINES, située à 22 kilomètres au nord.

Le point de départ bruxellois en était situé à la Gare de l’Allée Verte, remplacée par la suite par l’actuelle Gare du Nord, mais dont l’emplacement, dans les années 1950, allait servir de base à la flotte d’hélicoptères de la compagnie nationale SABENA, qui assuraient des liaisons avec des villes des pays limitrophes, COLOGNE, LILLE, et ROTTERDAM, notamment.

Et c’est le rail qui allait tuer l’hélicoptère : en 1957 furent ouvertes les liaisons rapides et uniquement en 1e classe du réseau du Trans-Europ-Express, le TEE. Les hélicoptères assurèrent leurs dernières rotations en 1966.

Revenons au XIXe siècle de la Révolution industrielle : qu’est-ce qui explique ce succès des chemins de fer, invention entièrement européenne ?...

En fait, les raisons de ce succès, sont les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque : le transport rapide, par tout temps, de marchandises pondéreuses et d’un grand nombre de personnes ; mais un élément technique joue aussi un rôle-clef dans l’extension du rail.

A quoi faites-vous référence, Quentin Dickinson ?...

A la voie, c’est-à-dire la mesure de l’écartement entre les rails. A peu près partout dans le monde, celui-ci est d’un mètre, 435, nombre étrange, dû à la décimalisation de la mesure britannique de 4 pieds, 8 pouces et demi, imposée par les ingénieurs écossais, maîtres du rail au XIXe siècle. C’est un compromis entre la stabilité (qui réclame une base large) et les considérations économiques (qui entendent limiter les coûts de réalisation).

Curieusement, ce mètre, 435, est très voisin de la largeur des essieux des chariots de la Rome antique, dont les roues creusaient sur leur passage des ornières longitudinales qui contribuaient à leur stabilité - en quelque sorte la préfiguration du rail de guidage.

Mais l’épopée ferroviaire de l’Europe aura connu des périodes de repli, tout-de-même ?...

Effectivement. La concurrence de l’automobile a bien failli détrôner définitivement le rail, d’abord en ville dès 1920, ensuite sur tous les grands axes intervilles, grâce aux autoroutes nées en Allemagne dix ans après et qui se sont multipliées jusqu’à nos jours. Les locomotives à vapeur ont longtemps dominé le parc de traction ; les dernières, en Europe occidentale, ont circulé en service régulier jusque dans les années 1960. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, la vapeur s’est maintenue jusqu’à l’aube de notre siècle.

Qu’est-ce qui explique l’actuel renouveau du rail européen ?...

D’abord, l’air du temps : les voyageurs redécouvrent un moyen de se déplacer confortablement (oubliées, les banquettes en bois en 3e classe), à un tarif souvent plus attrayant que le coût du carburant, des péages autoroutiers, et de l’amortissement du véhicule, sans compter la fatigue provoquée par la conduite dans les inévitables embouteillages.

Et l’argument de la faible empreinte-carbone du rail n’est pas pour rien dans son retour en grâce.

Mais il faut désormais cesser de croire à une perpétuelle rivalité entre les différents moyens de transport : tous ont leur place dans une Europe mobile et interconnectée.

La multimodalité complémentaire est la clef de l’avenir, aussi bien pour ce qui est des personnes que des marchandises.

A cet égard, il existe un pays exemplaire : c’est la Suisse. Depuis peu, les horaires cadencés et une tarification commune intègrent – comme un immense mécanisme d’horlogerie – tous les chemins de fer, toutes les lignes d’autocar, toutes les escales des bateaux lacustres. Et les grands aéroports sont tous desservis par le train.

Et, de la locomotive à vapeur au ferroutage et à la grande vitesse ferroviaire internationale, en deux cents ans, convenez-en, l’Europe n’aura pas vraiment traîné en cours de route.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron. 

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