Chaque semaine, retrouvez Les histoires d'Europe de Quentin Dickinson sur Euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous voulez remonter aux origines institutionnelles de l’Union européenne…
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’idée des Européens, c’était de bâtir une coopération européenne en se concentrant sur des aspects concrets, en l’occurrence la gestion commune du charbon et l’acier, sans lesquels une nouvelle guerre n’était plus matériellement possible. Le prolongement politique de ce type de coopération était évidemment dans la tête des Pères de l’Europe, tels Jean MONNET ou Robert SCHUMAN ; mais ils avaient compris que leurs ambitions de faire éclore une Europe unie ne pouvaient prospérer que pas à pas, doctrine d’ailleurs toujours en vigueur – et qui, aujourd’hui, ne manque pas de susciter l’incompréhension et l’impatience de nos concitoyens.
Mais en fait, en 1950, cette idée d’une Europe pratique conduisant éventuellement à une Europe politique, n’avait vraiment rien de nouveau.
Que voulez-vous dire ?...
Près d’un siècle et demi auparavant, en 1804, le Traité sur l’Octroi du Rhin était conclu entre Français et Allemands, plus exactement entre l’Empire français et le Saint-Empire romain germanique, texte qui supprimait la jungle de péages imposés aux mariniers, en faveur d’un octroi unique. Le produit de celui-ci devait être consacré à la consolidation des berges et à l’entretien des chemins de halage, sous l’autorité d’une commission, installée à MAYENCE.
Cette institution technique et fiscale internationale se trouve confortée et étendue par le Congrès de VIENNE en 1815. Les Pays-Bas rejoignent ainsi la France et cinq États rhénans allemands indépendants.
Quelles sont les nouvelles attributions de la Commission ?...
La Convention de Mayence confère à la désormais Commission centrale pour la Navigation du Rhin une large responsabilité quant aux règles de circulation des chalands et autres embarcations ; toujours en vigueur, elle est complétée aujourd’hui par une mission juridictionnelle spécialisée qui la fait intervenir en instance d’appel et en dernière instance pour trancher les différends qui lui sont transmis par des tribunaux de première instance des pays-membres.
Et aujourd’hui ?...
La Commission siège depuis 1920 au Palais du Rhin à STRASBOURG ; elle compte, selon les pays-membres, deux à quatre Commissaires ainsi que deux Commissaires suppléants. Les décisions y sont prises à l’unanimité ; les travaux y sont menés en français, en allemand, et en néerlandais. La Suisse et la Belgique ont rejoint les trois pays-fondateurs : la Suisse, où se trouvent les sources du fleuve ; et la Belgique, qui n’en est certes pas riveraine, mais qui immatricule un grand nombre de péniches.
L’utilité de cette institution, évidemment européenne, est aisément démontrée : elle aura survécu à la Guerre franco-allemande de 1870-71 et à la Première et à la Seconde Guerre mondiale.
Y a-t-il d’autres exemples comparables ?...
Oui. Presque aussi vénérable, il existe depuis 1856 une Commission du Danube, née du Traité de Paris, à l’issue de la Guerre de Crimée. Relancée en 1948, elle compte aujourd’hui onze pays-membres, riverains ou proches d’affluents du bassin danubien ; la France y fait partie des quatre États-observateurs. Cette Commission siège à BUDAPEST.
Par leur ancienneté, les Commissions du Rhin et du Danube sont quelque peu différentes des autres instances créées après elles. On peut ainsi citer la Commission internationale de l’Escaut, datant de 1950, qui comprenait également le cours de la Meuse, et qui a été relancée en 2002. Le siège en est à ANVERS.
On rappellera aussi l’existence, depuis 1962, de la Commission de la Moselle, qui réunit Français, Luxembourgeois, et Allemands, et dont le siège est à TRÈVES.
Enfin, un mot pour souligner une tendance nouvelle, qui, au-delà des questions de navigation et d’infrastructure riparienne, prend en compte l’environnement naturel des cours d’eau, la consommation de l’eau, les rejets industriels, et la limitation de la pollution de l’espace marin au-delà des estuaires. C’est en particulier la mission de la Commission internationale pour la Protection de l’Elbe, datant de 1960, regroupant l’Allemagne et la République tchèque, et basée à MAGDEBOURG.
La contribution institutionnelle des Commissions fluviales à l’élaboration des structures de l’Union européenne aujourd’hui ne doit pas être sous-estimée.
D’ailleurs, pour l’anecdote, en 1956, lors de la négociation des Traités de Rome créant le Marché commun et EURATOM, plusieurs délégations avaient émis des réserves quant à utiliser pour les instances dirigeantes de ces deux futures institutions la dénomination de Haute-autorité qui était celle de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier. A l’issue d’une recherche fébrile, l’un des délégués propose alors que l’on prenne modèle sur les Commissions fluviales – et voilà pourquoi la Commission européenne s’appelle Commission.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.