Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu, le 4 octobre 2024, un arrêt particulièrement intéressant. Elle a jugé que toutes les femmes d'Afghanistan devaient être reconnues comme réfugiées en raison des persécutions qu'elles ont subies sous le régime des talibans. Il s'agit d'une décision historique, non seulement pour les femmes afghanes, mais aussi pour la politique d'asile au sein de l'Union européenne. Mais quel est le fondement exact de cette décision ?
Cette décision est basée sur la situation très difficile des femmes en Afghanistan depuis le retour au pouvoir des Talibans en 2021. Il faut savoir que, dès le retour des talibans, les femmes ont été systématiquement exclues de la vie publique. Elles sont privées d'accès à l'éducation, ne peuvent plus travailler, et même leurs déplacements sont soumis à de fortes restrictions. Ces violations des droits de l'homme sont flagrantes et la Cour a considéré qu'il s'agissait de persécutions fondées sur le genre. Et c'est justement là que réside la clé de la décision : la persécution généralisée et systématique des femmes en Afghanistan, simplement parce qu'elles sont des femmes, constitue un motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié au titre de la Convention de Genève de 1951.
En quoi cette décision de la Cour modifie-t-elle les critères d’obtention de l’asile pour les femmes afghanes par rapport à la situation précédente ?
Ce qui change vraiment, c'est que jusqu'à présent, chaque femme afghane devait prouver, au cas par cas, qu'elle était personnellement en danger pour obtenir l'asile. Il ne suffisait pas de dire qu'elle venait d'Afghanistan. Il fallait démontrer que sa vie ou sa liberté étaient menacées à titre individuel. Mais avec cette décision, la Cour dit : « Non, leur condition de femmes afghanes suffit à démontrer qu'elles sont persécutées ». En d'autres termes, toutes les femmes afghanes sont considérées comme des victimes potentielles, sans avoir à apporter de preuves supplémentaires de la violence ou de la répression qu'elles subissent.
Quelles seront les conséquences concrètes de cette décision pour l’Union européenne ?
D'abord, elle va permettre d'harmoniser les procédures d'asile dans l'ensemble de l'Union. À partir de maintenant, les femmes afghanes ne devront plus passer par des procédures complexes pour prouver leur droit à la protection. Tous les États membres de l'UE devront automatiquement leur reconnaître le statut de réfugié. C'est donc une simplification et surtout une accélération des procédures pour ces femmes qui, ne l'oublions pas, fuient une situation de terreur et de privation totale de leurs droits. La lourdeur administrative sera aussi allégée, puisque les autorités n'auront plus à vérifier chaque demande dans le détail.
Ensuite, l'UE va être obligée d'adapter sa capacité d'accueil. Il faut s'attendre à ce que de plus en plus de femmes afghanes cherchent refuge en Europe à la suite de cette décision. Il sera donc nécessaire de créer des structures appropriées pour les accueillir, leur apporter un soutien psychologique et les aider à s'intégrer. D'autant que ces femmes ont connu des moments très difficiles. Elles arrivent avec des traumatismes qui sont liés à la persécution, à l'oppression et parfois même à la violence physique. L'intégration ne se fera pas sans difficulté et l'UE doit être prête à leur offrir un soutien spécifique, notamment en termes de logement, de soins médicaux ou de formation professionnelle.
Est-ce que cette décision pourrait créer des tensions au sein de l'Union européenne ?
Oui, il y a de fortes chances pour que ce soit le cas. Cette décision intervient à un moment où la politique migratoire divise déjà l'Europe. Certains pays, comme l'Allemagne et la Suède, qui ont déjà une politique assez généreuse en matière d'accueil des réfugiés, seront sans doute beaucoup plus disposés à suivre cette nouvelle directive. Mais d'autres pays, notamment en Europe de l'Est, ont toujours été plus réticents à accueillir des réfugiés et pourraient voir cette décision comme une contrainte supplémentaire imposée par Bruxelles. La question de la répartition équitable des réfugiés entre les États membres risque donc de se poser à nouveau. Il s'agit d'un sujet sensible, qui a déjà suscité des débats animés lors de précédentes crises migratoires, par exemple en 2015.
Quel est l'impact symbolique et humanitaire de cette décision de l'Union européenne, et comment s'inscrit-elle dans sa stratégie globale de défense des droits de l'homme ?
Mais au-delà des tensions potentielles, il faut aussi considérer l'aspect symbolique et humanitaire de cette décision. Elle renforce l'engagement de l'Union européenne à protéger les droits de l'homme et ici particulièrement les droits des femmes. A travers cette décision, l'UE envoie un message très fort : elle ne fermera pas les yeux sur les violences faites aux femmes, où qu'elles se produisent et quelle qu'en soit la nature. Elle fait également partie d'un effort plus large de l'Union de se positionner en tant qu'acteur principal dans la défense des droits de l'homme dans le monde entier.
Enfin, la décision peut aussi avoir des conséquences positives pour la coopération internationale. Les organisations telles que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et les grandes ONG, qui travaillent déjà à la protection des femmes afghanes, vont y voir un soutien fort de la part de l'Union européenne. Cela pourrait mener à une meilleure coopération dans la gestion de l'accueil des réfugiés et la recherche de solutions durables pour ces femmes, non pas seulement en Europe, mais aussi dans les pays voisins de l'Afghanistan, qui accueillent déjà une grande partie des réfugiés.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.