Artiste européen·ne de la semaine

Obongjayar (LONDRES) - Artiste européen de la semaine

Nicholas Llanton Obongjayar (LONDRES) - Artiste européen de la semaine
Nicholas Llanton

Cette semaine, nous nous intéressons au musicien d'origine nigériane Obongjayar.

  

Chapitre 1. Obongjayar, un artiste qui prend son temps

Révélé en 2016 par Richard Russel, gérant du label britannique XL Recordings, Obongjayar attend le mois de mai 2022 pour dévoiler son premier album, Some Nights I Dream of Doors. Un album très attendu par sa communauté, qui synthétise tout son travail artistique. Cet album, c'est le passage à l'âge adulte de sa musique.

Obongjayar, de son vrai nom Steven Umoh grandit à Calabar au Nigéria. A ses quatre ans, sa mère déménage au Royaume Unis le laissant au Nigéria avec sa grand-mère qui lui donne une éducation très religieuse. Un christianisme qu'il délaissera mais dont il gardera un grand intérêt pour la spiritualité. Il reste au pays avec son frère jusqu'à ses 17 ans, lorsqu'il part rejoindre sa mère à Ashford dans le Middlesex. 2 ans plus tard à 19 ans, il part à L'Université d'Art à Norwich. Obongjayar grandit en écoutant du rap, en particulier Eminem, Usher, Nelly, Snoop Dog et Ciara. Il commence la musique au Nigéria, mais c'est en Angleterre qu'il se trouve, et renaît sous le nom d'Obongjayar. Un nom qui combine le mot « Obi » signifiant « roi » chez les Igbo, une ethnie du sud-est d Nigeria, avec l'orthographe phonétique des lettres JR comme dans junior.

Après 6 ans de collaboration avec de nombreux artistes, de la scène nigériane, londonienne et américaine, et après la création de trois EP, Obongjayar présente enfin un album, Some Nights I Dream of Doors. Un mélange de rap, de slam et de poésie, teinté de soul, de rythmes afrobeat et de blues. Cet album réuni tout ce qu'il a fait au niveau stylistique dans ces travaux antérieurs. Et ses textes abordent des thèmes variés : l'identité, la blackness, la spiritualité, l'amour et les troubles politiques. Alors qu'Obongjayar a énormément travaillé avec d'autres artistes, il présente seul ce projet musical, selon ses envies et ses goûts, comme il le dit lui même d'ailleurs : « on my own terms ». Et voici la chanson New Man,  qui parle d'un homme nouveau qui décide de prendre en charge son destin malgré les difficultés liées à ses origines, un homme qui avance sans se préoccuper du regard des autres, à l'image du vécu de l'artiste et de son album composé en dehors des normes artistiques. 

  

  

Chapitre 2. Un artiste et un collaborateur ouvert sur le monde

Si Obongjayar débute sa carrière musicale en 2016, il attend cependant mai 2022 pour sortir son premier album, Some Nights I Dream of Doors. Et sur les 12 titres qui font l'album, on entend uniquement la voix d'Obongjayar, ce qui est inhabituel pour l'artiste. Sur les 6 années précédentes, durant lesquelles il a sorti trois EP et quelques single, le musicien et chanteur nigérian a surtout collaboré avec d'autres artistes. Beaucoup sont des artistes londoniens, comme a rappeuse Little Simz, le pianiste de jazz Armon Jones, le rappeur Giggs, et le poète et musicien James Massiah. Et ce n'est pas tout. Ouvert sur les scènes du monde, il a aussi collaboré avec beaucoup d'artistes venus d'ailleurs. Son aventure débute avec Richard Russel, producteur très prisé et gérant du label britannique XL Recording, qui l'amène à collaborer avec d'autres artistes. Pour un des projets du producteur, Everything is Recorded paru en 2018,une compilation de modernsoul, de R'n'B, de jazz et de sonorités électro, Obongjayar chante auprès du saxophoniste de jazz américain Kamasi Washington. Il a aussi plusieurs fois collaboré avec des rappeurs américains, comme Wiki et JJ en 2018 sur Elixir, avec Danny Brown en 2019 sur You know what I'm sayin et Belly of the Beast ainsi qu'avec Westside Boogie en 2022 sur Protein v2. En 2020 il est invité à chanter aux côté de Take a Daytrip, duo de production américain et de Santi rappeur nigérian, sur PoisonEn 2021, Obongjayar travail avec le producteur nigérian Sarz, qui a composé entre autre pour Skepta, Drake, Burna et Beyonce, et sortent ensemble l'EP Sweetness. Enfin, pour son album, Obongjayar qui a l'habitude de collaborer se présente seul, ou presque. Il fait une exception pour son morceau Wrong for it, pour lequel il invite Nubya Garcia, musicienne de jazz anglaise, saxophoniste, compositrice et cheffe d'orchestre. 

  

  

Chapitre 3. Une musique qui navigue entre les styles

Electro, rap, spoken word, soul, rythmes afrobeat, funk, R'n'B, mélodies pop, orchestration soul et soui... Obongjayar s'amuse à fusionner des styles, à brouiller les pistes en jouant avec les genres. C'est à Norwich, lorsqu'il y déménage à ses 19 ans pour ses études qu'il se découvre musicalement. Là bas il élargit son horizon musical, découvre le funk, l'indie, l'électro, et rencontre des DJ qui écoutent de l'afrobeat et de la soul. A l'Université, il chante avec un accent américain, influencé par le rap qu'il a écouté toute son enfance. Mais rapidement il récupère son anglais à la teinte nigériane, et chante aussi en pidgin (broken english) et en efik (sa langue maternelle).

Enfant, tout ce qu’il souhaite c'est rapper mais plus tard, en découvrant d'autres manières de porter sa voix, il se rend compte que le rap n'est pas ce qui lui permettra de s'exprimer. Il façonne alors sa propre forme d'expression, particulière et inimitable. Car l'une des caractéristiques déterminantes de sa musique est sa dextérité vocale. Une voix que le média Noisey décrit en 2016 comme « une voix unique : celle qui navigue dans l'obscurité avec des hymnes nocturnes et presque spirituels ». Il est en effet connu pour sa voix inclassable, qui glisse entre le rap, le chant et la spoken word, une voix qui joue avec les timbres : du grave à l'aigu, du profond au léger, du rauque au velours. Une dextérité vocale que nous retrouvons par exemple dans le morceau Adjacent Heart paru en 2018 :

  

  

Obongjayar a puisé ses idées dans le hip-hop, le downtempo, la new soul, l'électro et même l'ambiant. Souvent qualifié d'inclassable, c'est vrai que l'artiste est difficile à ranger dans un genre. Tout simplement parce qu'il ne le cherche pas, et qu'il a réussi à façonner sa propre musicalité au fil des années et des collaborations artistiques. Écoutons Try, premier titre de son album Some Nights I Dream of Doors.  Ce morceau est un bon exemple du style artistique d'Obongjayar, basé sur la fusion des genres, et sur le jeu des couleurs et des timbres. Le musicien change d’ambiance naturellement, du nostalgique au joyeux, et c'est d’ailleurs ce qui l'intéresse : le jeu des contrastes, que l’on retrouve dans beaucoup de ces morceaux.

  

  

Chapitre 4. Une écriture sensible et engagée

Obongjayar développe sa sensibilité à l'écriture très jeune. Aujourd'hui il présente des textes aux thématiques variées, à la fois sensibles et engagés : l'identité, l'appartenance culturelle, la race, la blackness, la spiritualité, le christianisme, l'amour et les troubles politiques sont des sujets que l'on retrouve souvent dans ses textes. Il puise son inspiration dans son propre vécu et son quotidien, sur ce qu'il a subit en tant qu'homme noir, ou ses relations amoureuses.

En 2021, Obongjayar et le musicien nigérian Sarz sortent un EP sur le thème de l'amour, un projet qui se fera en un soir. ici les artistes ont souhaités s'écarter des chansons d'amour traditionnelles qu'ils estiment parfois trop simplistes. Donc avec cet EP, Obongjayar a produit un véritable portrait de la relation amoureuse à travers plusieurs sentiments : l'engouement, la confiance, la peur, la passion et la douceur. En quatre morceaux il présente quatre stades vécus dans une relation amoureuse : Sweetness, parle de la douceur et de l'apaisement qu'apporte l'amour. Gone Girl, présente un conflit amoureux causé par les non-dits. If you say, raconte le besoin de réciprocité, la peur de ne pas recevoir le même amour que l'on porte pour l'autre. Nobody, est une déclaration d'amour et de confiance.

  

  

Obongjayar propose également un contenu plus engagé et militant. Son titre Soldier Ant par exemple parle du racisme et de son vécu en tant qu'homme noir et nigérian en Grande Bretagne.

  

  

Dans Message in a Hammer, paru en 2022 dans son album Some Nights I Dream of Doors, l'artiste s'indigne de la corruption de l’État nigérian, son pays natal, et des violences policières. Il écrit ce morceau le lendemain de la tuerie de Lekki Tollgate en octobre 2020, lorsque, lors des manifestations End SARS au Nigeria, l'armée nigériane a ouvert le feu et assassiné au moins douze manifestants. 

  

  

Chapitre 5. Obongjayar, un héritage londonien

Obongjayar fait parti de ces artistes caractéristiques de la scène londonienne actuelle, bien connue pour sa diversité musicale. Londres, considérée comme un des grands centre de création musicale de la planète est aussi reconnue pour sa scène musicale singulière, basée sur la fusion des genres et des cultures, et marquée par un fort apport musical africain et antillais. Car l'histoire de la ville est marquée par la venue de populations étrangères. Les années 50 et 60 marquent l'entrée de la Grande-Bretagne dans l’ère de l’immigration de masse. Des milliers de sujets des colonies britanniques viennent à Londres : principalement des antillais, pakistanais, indiens, nigérians et ghanéens. Dans ce contexte va se mélanger la musique populaire de l'époque, le rock et ses sous-genres, le jazz, et plus tard le hip-hop, avec les sonorités culturelles des immigrés. De plus, face à l’exil ou à la nécessité de lutter contre le racisme, on retrouve comme ailleurs, le recours au langage musical comme moyen d’expression. La musique devient donc un élément essentiel de la revendication de ces populations reléguées aux marges de la société. Et cette nouvelle scène est portée par des figures emblématiques de la musique africaine, comme Fela Kuti, musicien nigérian et père de l'afrobeat, qui d'ailleurs enregistrera en Angleterre en 1971 un album intituléFela's London Scene. Londres est donc un des lieux d’apparition de nouveaux styles musicaux inspirés des musiques de la diaspora, et comme l'atteste des artistes comme Obongjyar, la capitale britannique n'a pas fini de bouger au rythme des sonorités africaines !

Londres d’aujourd’hui perpétue cet héritage culturel, basé sur le métissage artistique et sur la fusion des styles. Une de ses spécificités est sa forte affirmation d'africanisme, et là encore la musique d'Obongjayar atteste cette particularité : sur une base de soul, de jazz et de hip hop, nous pouvons entendre cette affirmation nigériane, que ce soit dans ses isntrus, dans son accent ou dans la langue qu'il parle. Mais Obongjayar est loin d'être le seul à nourrir cette scène londonienne. Il collabore d'ailleurs avec plusieurs de ces artistes comme la rappeuse Little Simz, le pianiste de jazz Armon Jones, le rappeur Giggs, et le poète et musicien James Massiah.

  

  

Une émission proposée par Mari le Diraison