Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
On se retrouve aujourd’hui pour parler d’un fait d’actualité qui bouleverse la politique américaine, et par conséquent attire l’attention du reste du monde : la désunion d’Elon Musk et Donald Trump. Après avoir critiqué la ‘Big Beautiful Bill’ que Trump veut faire voter au Congrès, Elon Musk a quitté la Maison Blanche en fanfare, et le divorce se fait sur les réseaux sociaux.
Le mariage aura été bref et intense. Elon Musk, comme contractuel pour le Département de l’Efficacité Gouvernementale, était de toute façon censé quitter cette fonction après 130 jours. Mais clairement ils ne se quittent pas amis, encore moins alliés. Et les conséquences pour le secteur spatial et de la défense sont énormes, et très incertaines actuellement, avec le ton encore très échauffé qui règne.
Quelles sont les implications immédiates pour le secteur ?
Le retrait de la candidature de Jared Isaacman à la tête de la NASA. Isaacman est un ami d’Elon Musk, et c’est sur recommandation de Musk qu’il avait été présenté par la Maison Blanche pour être le nouvel administrateur de l’agence spatiale américaine. Lors d’une interview avec Friedrich Merz, Donald Trump a laissé entendre que le choix d'Isaacman avait été contraint, qu’il était en fait un Démocrate, et que cette candidature n’était plus pertinente. Jared Isaacman a fait des donations aux partis Démocrate et Républicain, comme Elon Musk ; mais ça ne semblait pas déranger Trump jusqu’à récemment.
La NASA se retrouve donc sans administrateur apparent, un nouveau candidat devrait bientôt être soumis au Congrès, et l’incertitude plane toujours sur les budgets accordés aux différents programmes en cours et ce que le prochain administrateur identifiera comme prioritaire.
Et à plus long-terme, quelles sont les conséquences de la dispute Trump-Musk ?
Donald Trump a menacé les entreprises d’Elon Musk –dont SpaceX– de perdre les contrats et financement gouvernementaux américains. Dans la mesure où ça représente près d’un dixième des revenus de SpaceX, ce serait désastreux pour l’entreprise. Et Trump pourrait faire pression sur la FAA pour empêcher les fusées de SpaceX de décoller, et donc asphyxier l’entreprise financièrement. Mais ça serait aussi désastreux pour le gouvernement américain. Musk s’est emporté en répondant très rapidement à Trump que SpaceX allait immédiatement retirer du service la CrewDragon par exemple, qui permet de faire la navette pour l’ISS, la seule à le faire depuis que Soyouz n’assure plus le service à cause de la guerre en Ukraine.
Et le secteur de la défense a des raisons de s’inquiéter aussi. Les Etats-Unis mettent très régulièrement en orbite des satellites pour le renseignement américain, renouvellent leur flotte de satellites d’observation et de communication, tout ça sur des vols SpaceX ou United Launch Alliance. Sauf que ULA n’est pas en capacité d’assurer tous les vols qui seraient retirés à SpaceX, et ça voudrait dire que le Pentagon prendrait du retard, que les systèmes de positionnement, de renseignement et de communication américains, dont dépendent aussi les alliés de l’OTAN, l’Ukraine… seraient plus vulnérables et moins efficaces.
C’est le problème inverse de ce que craignait le secteur lorsque Musk était le favori de Trump.
Absolument. Le secteur spatial et militaire est passé de craindre une suprématie de SpaceX qui ne profiterait qu’à Elon Musk et aux entreprises de ses amis ; à la crainte que les contrats ne seraient pas honorés, et que les autres lanceurs du secteur ne pourraient pas compenser – d’une part parce que SpaceX a un avantage technologique, d’autre part parce que certifier un lanceur orbital pour des missions de défense confidentielles prend du temps et coûte très cher à l’entreprise qui veut être certifiée, et au gouvernement américain.
A quoi peuvent s’attendre l'État-major américain et les entreprises du secteur spatial, alors ?
Si l’on était dans un contexte politique raisonnable, la NASA et le Pentagon continueraient de travailler avec SpaceX, a minima pour les contrats déjà engagés, et chercheraient à diversifier leurs partenaires, ce qui est déjà le cas d’ailleurs, mais dans une mesure qui se limite à certains services.
Sauf qu’avec Donald Trump, raisonnable n’est pas la ligne directrice de son processus de décision, qu’Elon Musk a un ego surdimensionné, et donc des ruptures de contrat irrationnelles ne sont pas à écarter. Musk est revenu sur sa gueulante d’arrêter le service pour l’ISS ; mais dans les faits, il a l’ascendant dans cette histoire, parce que même si SpaceX pâtirait de la perte de contrats et de subventions avec le gouvernement américain, lui personnellement n’en souffrirait pas outre mesure ; il pourrait blâmer Trump pour les licenciements à SpaceX ; c’est une baisse de régime qui ne durerait probablement que pendant le mandat de Trump, et SpaceX fait suffisamment d’argent pour ne pas couler dans les trois prochaines années ; et la défense américaine serait la grande perdante.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.