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Vallée du Kaysersberg et Pays de Ribeauvillé : densifier, mais en douceur

Photo de Aswathy N sur Unsplash Vallée du Kaysersberg et Pays de Ribeauvillé : densifier, mais en douceur
Photo de Aswathy N sur Unsplash

Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.

Bonjour Christine Le Brun, aujourd’hui vous allez nous parler d’urbanisme, et d’une approche innovante pour favoriser les projets de construction, tout en respectant les impératifs de préservation des terres naturelles. C’est un peu l’équation impossible non ?

La question n’est pas triviale en effet, et pleine de contradictions. D’un côté, nous sommes de plus en plus nombreux, et l’on estime qu’à l’horizon 2050, 70% de la population mondiale vivra dans des villes. En France, nous faisons face à une vraie crise du logement car nous n’en produisons pas assez. Mais en même temps les opérations de promotion immobilière ont du mal à faire le plein. Et pour finir, dans un pays où l’on adore l’idée de maison individuelle, les enjeux environnementaux font que l’ère du mitage et des lotissements est plutôt derrière nous. Il faut donc densifier, mais ce n’est pas parce qu’on est citadin qu’on est prêt à avoir des voisins trop rapprochés. C’est la source du phénomène NIMBY (Not In My BackYard) dont se revendiquent ceux qui s’opposent à tout projet de construction près de chez eux.

Bien, voilà pour le contexte et ça ne semble vraiment pas gagné. C’est aussi le constat de départ du projet dont vous allez nous parler ?

A peu près oui. Cela se passe en Alsace, où 2 communautés de communes, la Vallée du Kaysersberg et le Pays de Ribeauvillé ont réfléchi à cet enjeu. On est pas très loin de Colmar, dans une belle région de vignobles, mais où les familles peinent à s’installer en raison de prix élevé, que ce soit dans le neuf ou l’ancien. On assiste donc à une érosion progressive de la population, ainsi qu’à son vieillissement. Et d’un point de vue du logement, on trouve beaucoup de petits ménages, des propriétaires de plus de 70 ans, qui vivent dans des grosses maisons, sur des grands terrains qu’ils ont de plus en plus de mal à entretenir.

Du coup, comment ce projet entend-il répondre à ce paradoxe ?

Partant de ce constat, le but est de travailler avec les habitants, de partir de leurs situations particulières et de faciliter l’émergence de projets sur mesure. Pour cela, le projet de la collectivité se base sur le concept BIMBY, pour Build In My BackYard, évidemment en clin d’œil au NIMBY. Concrètement, si vous avez de la place sur votre propriété, peut être que cela pourrait vous intéresser d’en céder une partie, à la condition que le projet soit bien pensé et que participiez à la réflexion ? Peut être qu’en vieillissant vous commencez à vous sentir isolé et que vous ne seriez pas contre voir arriver un peu de compagnie dans votre environnement très proche ? Ou encore, plutôt que d’investir dans du locatif, pourquoi ne pas valoriser votre foncier en construisant 2 logements pour étudiants dans cette bande de terrain dont vous ne faites rien de toute manière ?

Et concrètement, comment fait on pour stimuler toutes ces opportunités ?

La collectivité a mandaté un cabinet d’urbanistes et d’architectes spécialisé dans ce type d’opérations. Ils peuvent être sollicités par les porteurs de projets, pour en étudier la faisabilité, non seulement technique, réglementaire mais aussi financière. Ils vont jusqu’à esquisser les projets pour leur donner corps, en préciser les contours qui correspondent vraiment à chaque situation, et aider les propriétaires à se projeter et à franchir le pas. C’est un accompagnement à la structuration de projet qui s’apparente un peu à du coaching car cela nécessite écoute, compréhension et prise en compte des besoins, mais aussi des craintes des personnes, pour aboutir à une prise de décision. Le service est pris en charge par la collectivité et le cabinet est neutre dans l’opération. Une fois les personnes convaincues, elles confient la réalisation à un architecte ou un maitre d’œuvre de leur choix.

Concrètement, quel est le potentiel pour Kaysersberg et Ribeauvillé ?

Une des premières villes en France à avoir testé le concept c’était Périgueux. Entre 2017 et 2022, 251 logements ont été créés, période Covid inclue. Ici, les 2 communautés de communes totalisent 12 400 maisons sur leur territoire. Si l’on table sur 1% de ce gisement qui serait intéressé par le dispositif chaque année, cela donne un potentiel de 124 logements créés par an, ce qui n’est pas négligeable pour un territoire de 35 000 habitants.

Et réaliste puisque vous me disiez que le concept ne concerne pas seulement les projets neufs ?

En effet, les architectes peuvent aussi étudier des projets de rénovation/extension ou même de surélévation. C’est particulièrement intéressant dans les cœurs de ville où les investisseurs ou les accédants sont parfois rebutés par les complexités administratives ou réglementaires liées aux bâtiments historiques par exemple. Et c’est dommage quand par ailleurs on cherche à redynamiser les centre-villes.

On peut donc dire que cela va plus loin que la simple création de logements ?

Ce que je trouve intéressant dans cette initiative, c’est qu’elle cherche à organiser une densification douce et diffuse des espaces bâtis, que cela se fait à l’initiative des habitants, mais dans le cadre d’une opération animée par la collectivité. On est bien loin du spectre des villes hyper denses où l’on empile les gens dans des tours de manière anonyme. Ici, on cherche à optimiser l’utilisation des espaces déjà urbanisés, mais en y mettant beaucoup d’intelligence relationnelle. Et c’est ainsi qu’on crée les conditions pour ramener des familles en ville, favoriser le maintien à domicile de personnes âgées et plus généralement dynamiser les communes de manière harmonieuse, en évitant les tensions. Le tout en limitant l’étalement urbain et la consommation des espaces naturels. Alors, c’est surement pas mal d’efforts sur chaque projet mais franchement, ça marche et personnellement je n’y vois que des bénéfices !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.