Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Bonjour Christine Le Brun, aujourd’hui nous allons parler d’un projet qui vise à améliorer la sécurité en ville, avec une approche qui prend le contrepied des systèmes de videoprotection, en pariant sur la mobilisation des habitants. Où est ce que cela se passe ?
Bonjour Laurence. Aujourd’hui nous faisons un petit tour à Turin. Nous ne sommes pas sur un projet très technologique, et même pas technologique du tout. Pourtant il adresse de manière originale et avec des résultats très intéressants un des enjeux prioritaires des smart cities : la sécurité, et en particulier la sécurité la nuit. C’est un projet au long cours, qui a été mené entre 2019 et 2023, et qui concernait les espaces aux alentours de la rivière Dora, une zone jusqu’ici propice à l’insécurité.
Et d’où venait cette situation ?
Et bien, malgré la construction récente de la nouvelle université et d’hébergements pour les étudiants, la zone manquait d’un traitement urbanistique cohérent, comme par exemple autour de la Viale Ottavio Mai. Malgré sa proximité avec le centre-ville, ce quartier constituait, une fois la nuit tombée un secteur peu engageant et complètement déserté. Non loin de là, le Giardino Pellegrino, un jardin de plus de 2 000m2, était depuis longtemps laissé à l’abandon, avec les dérives néfastes qu’on imagine. Et entre les 2, les berges de la rivière Dora constituaient un trait d’union à travailler.
Alors, qu’est ce qui a été réalisé ?
La municipalité a décidé d’adopter une approche globale et de travailler un vrai projet de régénération urbaine, transversal qui adresse simultanément les sujets d’aménagement, de jeunesse, de mobilité, de société et de culture. Elle a imaginé le projet ToNite, financé en partie par l’union européenne.
Et qu’est ce qui lui a valu cette distinction ?
Pendant 4 ans, le projet ToNite a fonctionné comme un laboratoire, pour tester plusieurs initiatives, avec une vision différente de la sécurité, basée non pas sur le contrôle ou la police, mais sur l’implication des usagers dès l’origine, dans la conception d’espaces qui répondent à leurs besoins, leur apportent de nouveaux services et permettent de créer des connections. En leur laissant l’initiative, le pari était de les responsabiliser et de montrer que le sentiment de sécurité peut venir, non pas de la surveillance, mais de l’appartenance à une communauté.
Concrètement, pouvez vous nous donner quelques exemples ?
Le jardin a été entièrement réaménagé et devenu un terrain de jeu familial en même temps qu’un lieu culturel. Il est cogéré par des associations locales par le biais d’un pacte de collaboration, un outil juridique innovant. Autour de l’université, une place piétonne et un lieu de rencontre ont été créés, avec de nouveaux éclairages, du mobilier, des pistes cyclables, pour faire de ce campus extérieur un lieu sûr et accueillant pour tous. Même choses pour les berges qui sont devenues un lieu de promenade et d’activités. Une fois cela réalisé, des soirées culturelles, des ateliers scolaires, des visites à pied, des évènements nocturnes ont pu se tenir et ont attiré plus de 30 000 personnes, la nuit, d’une nouvelle manière. Des publics très divers et peu habitués à ce genre d’initiatives, comme les petites associations ou les écoles, ont pu être intégrés dans les projets, ce qui a favorisé rencontres et inclusion.
On est donc sur un vrai succès !
Je crois que c’est le cas. Au total ToNite a vu la réalisation de 19 projets, dont 10 perdurent encore aujourd’hui. Le concept a tellement convaincu qu’il sert d’exemple et inspire d’autres villes en Europe comme Riga ou Cluj Napoca. Et depuis, Turin a pu lever de nouveaux fonds européens pour donner une suite au projet.
Et pour vous Christine, c’est un vrai projet intelligent sur le plan humain et collectif ?
Oui, renouveler les espaces urbains, donner une nouvelle identité à des lieux, et améliorer la qualité de vie en ville en pariant sur le fait qu’on peut changer la perception des choses, surtout la nuit, c’est plutôt ambitieux. Et le faire en pariant sur les personnes plutôt que sur les caméras de vidéoprotection, en favorisant la culture, le jeu, les rencontres, c’est prendre le contrepied des tendances actuelles. Et ça, j’adore. La régénération urbaine collaborative a je pense de beaux jours devant elle et j’espère que le projet turinois fera beaucoup de petits.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.