L'éco, du concept au concret

Pétrole et prospérité : comment la Norvège a déjoué le piège

©Pexel Pétrole et prospérité : comment la Norvège a déjoué le piège
©Pexel

La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.

Si j’ai bien compris Arnaud, aujourd’hui vous aimeriez nous parler de la Norvège c’est bien ça ?

Tout à fait, de la Norvège, de sa gestion unique des revenus tirés de l’exploitation des hydrocarbures, et de son fonds souverain gigantesque, le « Government Pension Fund Global ». Si vous ne connaissez pas bien le pays, on va en profiter pour replacer un peu le contexte ; la Norvège c’est un pays nordique, comme la Suède et le Danemark. On y trouve un peu plus de 5 millions d’habitants, elle fait partie de l’espace économique européen, et c’est l’un des pays avec l’Indice de Développement Humain le plus élevé au monde…

L’IDH, c’est l’indicateur qui évalue la qualité du niveau de vie dans un pays c’est ça ?

C’est ça, c’est un indice qui est basé sur l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie des individus. La Norvège et la Suisse se disputent régulièrement la première place du podium de l’IDH dans le monde. C’est de bonne guerre, ça maintient un peu le suspens d’année en année. En fait, la Norvège c’est ce pays qui a tendance à être toujours en vert foncé sur les cartes de développement humain, d’alphabétisation, de revenu par habitant, etc etc…C’est un pays développé, et très démocratique.

Et c’est aussi un pays qui exporte beaucoup d’hydrocarbures ?

Oui, la Norvège est le 3e exportateur mondial de gaz et le 11e exportateur mondial de pétrole. Plus de la moitié de ses exportations découlent d’une manière ou d’une autre de la production d’énergies fossiles, et 15% de son PIB en est tiré. Bref, c’est un pays qui est dépendant de l’extraction des hydrocarbures.

Et généralement, ce n’est pas une bonne nouvelle ?

Non. Les ressources fossiles sont une matière première très demandée, donc elle aura tendance à prendre le pas sur le reste, créant ainsi une véritable dépendance de l’économie à ce secteur. On peut le voir dans le cas des pays faisant partie de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (l’OPEP), tels que l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. La dépendance au pétrole porte même un nom, c’est la « maladie hollandaise ».

Voilà qui ne donne pas très envie.

Non… l’expression provient d’un journal britannique hebdomadaire The Economist qui a popularisé le terme dans les années soixante-dix. Dans son article qui s’intitulait « la dutch disease », donc, la « maladie hollandaise », The Economist étudiait l’impact de la découverte et de l’exploitation de ressources hydrocarbures aux Pays-Bas dans la deuxième moitié du XXe siècle. Plusieurs symptômes à la pathologie se sont déclarés ; 1/ D’abord, la valeur de la monnaie néerlandaise est devenue trop importante, réduisant la compétitivité des industries du pays. 

Pourquoi une réduction de cette compétitivité ?

Et bien, si vous souhaitez vendre vos produits à l’international, et si la valeur de votre monnaie s'accroît, vos produits deviennent plus chers pour les autres pays. Ce n’est pas un problème pour les hydrocarbures, car il est toujours rentable d’exploiter cette ressource, mais le reste de l’industrie (les secteurs entre guillemets à la traîne) devient moins compétitive. Dans le cas des Pays-Bas, l’appréciation de sa monnaie, à l’époque le florin, rendait les produits néerlandais plus chers pour ses voisins.

Et ensuite ?

Ensuite, un autre problème qui a découlé de l’exploitation des ressources hydrocarbures était l’augmentation des dépenses étatiques. The Economist l’a très bien souligné ; l’Etat néerlandais a dépensé l’argent qui provenait de l’exploitation des hydrocarbures, il ne l’a pas investi. Enfin, si on sort de l’exemple hollandais, on peut se demander comment les revenus tirés de l’exploitation des ressources fossiles vont être redistribués. L’entreprise touchera-t-elle la majorité des bénéfices ? Ou l’Etat ? La réponse à cette question va déterminer la capacité de l’Etat à réinvestir les bénéfices liés à l’exploitation des hydrocarbures.

A vous entendre, on pourrait presque défendre l’idée que trouver des ressources pétrolières serait une mauvaise chose pour un pays.

C’est une question qui n’est pas définitivement résolue en économie. Il n’est pas sûr que la découverte de ressources fossiles soit bénéfique pour la croissance économique à long terme d’un pays.

Vu que vous nous parliez de la Norvège, je suppose qu’il y a au moins une exception à cette règle ?

Tout à fait, et j’y viens ! Aujourd’hui, la Norvège semble avoir déjoué la majorité des pièges liés à la maladie hollandaise, même si l’exploitation des hydrocarbures a tout de même eu un impact négatif relatif sur la compétitivité des autres secteurs industriels norvégiens.

Et quel serait leur secret ?

D’abord, l’une des plus grandes forces de la Norvège a été l’observation ; ils ont découvert leur premier gisement en à la fin des années soixante, le gisement d’Ebofisk. Lorsqu’ils ont commencé à sérieusement l’exploiter, il existait déjà des questionnements quant à l’impact des ressources pétrolières sur une économie. Rapidement, les gouvernements norvégiens successifs ont donc décidé d’encadrer la production, et la gestion des bénéfices tirés de l’exploitation des hydrocarbures. Pour cela, à la taxe sur les bénéfices habituelle des entreprises en Norvège, qui est de 22%, ils ont ajouté une taxe exceptionnelle de 56%. Aujourd’hui, les bénéfices tirés de l’exploitation aux hydrocarbures sont taxés à 78% en Norvège.

Et comment est utilisé cet argent ?

Là est le génie norvégien ; il n’a pas été utilisé, il a été réinvesti dans un fonds souverain. C’est le fameux « Government Pension Fund of Norway ». En 1976, un premier virement vers ce fonds souverain a été réalisé, d’une valeur de deux milliards de dollars. Aujourd’hui, le fonds souverain représente un peu plus de 1700 milliards de dollars, ce qui en fait le plus important au monde. L’un des éléments qui a réussi à garantir l’augmentation de la valeur du fonds souverain est son exploitation limitée ; jusqu’à très récemment, seuls les intérêts récoltés au fur et à mesure des années pouvaient être redistribués par les gouvernements successifs. La Norvège a également considérablement investi dans les ressources renouvelables, et son réseau électrique fonctionne aujourd’hui en immense majorité grâce à ces dernières. Enfin, même les investissements du fonds souverain sont soumis à certaines règles éthiques.

Ils refusent d’investir dans certaines entreprises ?

Oui, dans les industries de tabac, ou dans les industries d’armement. Petite anecdote, le gouvernement norvégien refuse d’investir dans Airbus car l’entreprise participe à la fabrication de missiles nucléaires français.

Au final, donc, est-ce que la Norvège est parée pour un jour faire sans les ressources fossiles ?

On verra. La Norvège dispose du plus grand fonds souverain au monde pour envisager le futur. Son utilisation est réglementée, et le pays a investi à la fois pour contrebalancer l’impact négatif du pétrole sur les autres industries, et dans des projets publics tels que son réseau électrique fonctionnant sur les énergies renouvelables.

Un entretien réalisé par Romain L'Hostis.