La semainière de Quentin Dickinson

On voit l'Histoire s'écrire sous nos yeux - Quentin Dickinson

Kenzo TRIBOUILLARD - AFB On voit l'Histoire s'écrire sous nos yeux - Quentin Dickinson
Kenzo TRIBOUILLARD - AFB

Alors, avez-vous passé une bonne semaine ?

Ce fut en tout cas une semaine où l’on a vraiment eu l’impression que, dans le consensus entre dirigeants de l’Union européenne, un point de non-retour était atteint, qu’au fond, on voyait l’Histoire s’écrire sous nos yeux.

Vous évoquez là le Sommet européen de jeudi et vendredi derniers ?

C’est bien cela. Quand on a passé des décennies à observer de ces réunions de chefs d’État et de gouvernement, occupés péniblement à tenter de faire tenir le papier peint de l’unité sur le mur lézardé de leurs divergences, on ne peut que saluer chaque occasion où les mots convenus des communiqués reflètent réellement la teneur des décisions prises, et non pas de peu précises intentions.

Et le déclencheur serait la tournée européenne de Volodymyr ZELENSKY ?

Sans aucun doute. LONDRES, puis PARIS (où la présence du Chancelier SCHOLZ rendait inutile un crochet par BERLIN), enfin BRUXELLES : on comprend bien la rationalité de ce périple, qu’expliquent les besoins spécifiques en matière de soutien militaire, financier, mais aussi politique, que M. ZELENSKY ne cesse de réclamer.

On ne doit pas en effet se leurrer en dressant savamment le catalogue des systèmes d’armes voulus par KYEV – car c’est bien la perspective reconfirmée de la vocation de l’Ukraine à rejoindre l’Union européenne qu’on doit retenir de l’étape bruxelloise du chef d’État – et chef de guerre – ukrainien.

Ainsi, au Sommet européen, on se bousculait pour obtenir une rencontre, même d’un quart-d’heure, avec lui, ou, au moins, une photo en sa compagnie ; et on entendait les lamentations de ceux qui n’avaient pas pu l’accueillir dans leur capitale.

Au Parlement européen, je n’ai pas le souvenir d’un discours aussi souvent interrompu par des applaudissements nourris que celui ce jour-là de M. ZELENSKY, discours qui s’est achevé par une longue ovation des eurodéputés.

Le lendemain, la pluie de missiles russes qui s’est abattue sur l’Ukraine venait souligner la futile impuissance du Kremlin à endiguer le véritable cours des choses.

Mais au Sommet, les Vingt-sept ont évoqué d’autres sujets ...

… d’autres sujets auxquels l’Ukraine aura volé la vedette. Et pourtant, ils n’étaient pas négligeables, jugez-en : l’UE doit d’urgence trouver les moyens d’atténuer les effets négatifs pour l’économie européenne des milliards de Dollars que le gouvernement américain s’apprête à déverser sur ses propres entreprises.

Si ici, rien n’est fait, les entreprises européennes iront se délocaliser Outre-Atlantique, et les investisseurs préféreront mettre leur argent aux États-Unis, plutôt qu’en Europe.

Le Sommet a également évoqué, une énième fois, la gestion collective des flux migratoires. Une fois de plus, en dépit de quelques bien modestes avancées, la carriole n’est pas sortie de l’ornière : tout le monde est pour le principe (comment, d’ailleurs, faire autrement ?), mais personne ne veut courir pour son pays le risque de conséquences imprévues.

Et pour cette semaine-ci, qu’avez-vous repéré pour nous ?

On ne sortira pas des sujets liés à l’Ukraine ; ce sera l’un des thèmes du Conseil des vingt-sept ministres des Finances, mais surtout chez les diplomates qui préparent les réunions des ministres. Ils sont en effet tout près de finaliser le prochain – le dixième – paquet de sanctions contre la Russie.

Je vais m’avancer un peu, puisque tout cela n’est pas encore officiel (et que j’en sais essentiellement ce que l’on veut bien me dire). Alors, allons-y : les sanctions devraient s’élargir à quatre banques russes supplémentaires, dont Alfa-Bank, le plus important établissement privé du pays, ainsi qu’aux ressortissants russes, désormais interdits de sièger au sein des conseils d’administration d’entreprises européennes sensibles.

Autres cibles : l’exportation vers la Russie de poids-lourds, d’engins de chantier, et de systèmes de pompage industriel, interdite, tout comme l’importation de Russie de sous-produits du raffinage du pétrole (bitume ou huiles). J’ajoute que les experts se penchent aussi sur la flottille-fantôme de navires pétroliers que les Russes ont assemblés sous différents pavillons de complaisance, pour tenter de contourner les sanctions européennes.

Enfin, 103 individus ou entités supplémentaires devraient être ajoutés à la liste des sanctionnés. Il s’agit d’un élargissement de la nomenclature des dirigeants russes et de leurs complices d’autres pays, actualisée constamment à la faveur de nouveaux renseignements recueillis.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.