Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Dans sa dernière revue, Confrontations Europe donne la parole à Stefano Feltri, Journaliste pour l’Institut pour l’élaboration des politiques européennes à l’Université Bocconi à Milan. Dans sa contribution, il s’intéresse aux propositions des partis politiques sur les questions écologiques pour répondre aux aspirations d’une jeunesse en demande de mesures ambitieuses à ce sujet.
Pourquoi la crise climatique a-t-elle été reléguée au second plan à l'approche des élections européennes de 2024 ?
À l'approche des élections européennes de 2024, la crise climatique, autrefois un sujet central pour l'UE, a été reléguée au second plan pour plusieurs raisons. Le Parti populaire européen (PPE), principal groupe politique du Parlement européen, a appelé à une « pause réglementaire » sur les politiques environnementales, craignant que celles-ci ne nuisent aux secteurs économiques traditionnels et aux intérêts des agriculteurs, un groupe clé d’électeurs. Ursula von der Leyen, en quête d’un second mandat en tant que Présidente de la Commission, a ajusté son discours pour s'aligner avec cette nouvelle position. De plus, la montée des tensions géopolitiques, notamment la guerre en Ukraine et les crises énergétiques en Europe, a placé la sécurité et la défense au cœur des priorités politiques. Ainsi, les préoccupations climatiques, qui mobilisent pourtant les jeunes générations, ont été éclipsées par des enjeux plus immédiats, soulignant un fossé grandissant entre les priorités des jeunes et celles des décideurs politiques.
Qu'est-ce que l'éco-anxiété et comment est-elle illustrée chez les jeunes italiens actuels ?
L'éco-anxiété est une forme d'anxiété croissante ressentie par les individus, en particulier les jeunes, face aux menaces du changement climatique et à l'inaction politique perçue. Elle est caractérisée par un sentiment de peur, de désespoir et d'impuissance face aux catastrophes environnementales croissantes. À l’été 2023, la vidéo de Giorgia, une jeune italienne en larmes face au ministre de l’Environnement italien à l’époque où des incendies ravageaient la Sicile est devenue virale sur internet et un symbole de l’écart entre la jeunesse et les décideurs politiques. Le climat est devenu un sujet de clivage générationnel majeur : une enquête réalisée en 2023 a demandé à plus de 10 000 jeunes Européens quelle devrait être la principale priorité de l’action politique de l’UE. La réponse la plus populaire – avec 67 % de soutien – a été la lutte contre la crise climatique. Toutefois, cette génération n’a pas eu le sentiment que leurs aspirations écologistes aient été prises en compte dans les dernières élections européennes.
Quels facteurs ont conduit au ralentissement de politiques climatiques ambitieuses en Europe ?
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi les politiques climatiques ambitieuses ont été mises en pause en Europe ces dernières années. D'une part, les pressions exercées par les agriculteurs et les lobbyistes de l’agro-industrie ont incité les gouvernements à reculer sur certaines réglementations écologiques, considérées comme nuisibles à leurs intérêts économiques. D'autre part, la montée des préoccupations liées à la défense et à la sécurité, en raison des tensions géopolitiques (comme la guerre en Ukraine), a poussé les institutions européennes à rediriger leurs priorités vers des questions plus immédiates. Par ailleurs, bien que la littérature économique montre qu'il n'y a pas de preuves empiriques d'un « contrecoup vert » qui ferait perdre du soutien aux gouvernements pro-climat, la rhétorique populiste et nativiste a réussi à focaliser les inquiétudes des citoyens sur les migrations plutôt que sur l'environnement. Cela a contribué à faire passer la crise climatique au second plan, renforçant un fossé entre les attentes des jeunes générations, qui soutiennent majoritairement des actions climatiques fortes, et les priorités des gouvernements.
Au cœur la crise pandémique de 2020, l’UE a adopté le plan “Next Génération EU”, justement pour répondre aux défis d’avenir auxquels fait face l’Union. Quatre ans plus tard, quel bilan peut-on faire de ce plan en matière climatique ?
Le plan Next Generation EU, lancé en 2020 avec un budget de 712 milliards d’euros pour relancer l’économie post-pandémie, a fait face à plusieurs défis et critiques. Bien que ce programme visait à promouvoir une Union européenne plus résiliente et durable, son bilan est mitigé. L’Italie, principal bénéficiaire des fonds, a eu du mal à respecter les objectifs et les étapes fixés, avec une partie des fonds alloués à des projets d’infrastructure traditionnels plutôt qu’à des initiatives innovantes en faveur des générations futures. En outre, des cas de fraudes et d’escroqueries concernant l'utilisation des fonds ont été découverts par le Parquet européen dans plusieurs États membres, ce qui a encore terni l’image du programme. Ces défaillances ont conduit à une hausse du scepticisme envers la capacité de l’Union à gérer efficacement de tels projets à grande échelle, notamment lorsqu'il s'agit d'initiatives financées par la dette commune. Ce scepticisme risque de freiner l’ambition de reproduire cette approche pour de futures politiques, au détriment des jeunes générations, qui seront les premières à subir les conséquences de l’absence d’investissements à long terme.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.