L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Antonio Guterres en Russie : l’ONU est-elle désavouée ?

Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation - Wikimedia Commons Antonio Guterres en Russie : l’ONU est-elle désavouée ?
Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation - Wikimedia Commons

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

La semaine dernière, la presse internationale a largement commenté la visite d’Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, en Russie où il a rencontré Vladimir Poutine en marge du sommet des BRICS. Que sait-on de cette rencontre ?

C’est la première fois depuis le début du conflit en Ukraine, que le secrétaire général des Nations unies et Vladimir Poutine se retrouvent dans la même pièce. Ce déplacement est surprenant à plusieurs titres. Le premier, c’est bien sûr que la guerre en Ukraine est toujours en cours, que les troupes russes n’ont pas l’intention de se retirer, et donc de respecter l’un des principes fondamentaux de la charte des Nations unies qui est l’intégrité territoriale des États. Deuxième élément surprenant, Vladimir Poutine est sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la CPI, la Cour pénale internationale, qui est une agence onusienne. Cela donne donc le sentiment qu’Antonio Guterres accorde peu de crédit à l’une des institutions qu’il est pourtant censé représenté et dont il est censé être le garant.

Pourquoi, en dépit des risques politiques, le secrétaire général des Nations unies a tenu à maintenir cette rencontre avec le Président russe, pourquoi ?

Les Nations unies sont composées de 193 états. Sur ses 193, seuls une poignée ont condamné, l’agression russe en Ukraine depuis 2022. L’immense majorité des états membres de l’ONU ont gardé une position de neutralité vis-à-vis de cette agression. Et depuis deux ans et demi, ils répètent à chaque assemblée générale que cette guerre n’est pas la leur, et qu’il faut trouver une solution pacifique au plus vite, qu’elle qu’en soit le prix, c’est-à-dire autant pour les Russes que pour les Ukrainiens. Du côté des Occidentaux qui soutiennent l’Ukraine depuis le début et qui réaffirment sans cesse leur soutien, cette visite sonne comme un coup d’épée dans le dos de l’Ukraine. Le Président Volodymyr Zelenski s’est dit outré d’une telle rencontre, d’autant que le secrétaire général des Nations unies n’avait pas dénié participer à la conférence sur la paix organisée par l’Ukraine à Genève il y a quelques mois. Mais pour la grande majorité des états membres de l’ONU, cette visite n’a rien d’exceptionnel : Vladimir Poutine est le leader incontesté des BRICS que de plus en plus d’États cherchent aujourd’hui à rejoindre, le dernier, ayant demandé son adhésion n’est autre que la Turquie d’Erdogan d’ailleurs.

Que représentent les BRICS aujourd’hui ?

Les BRICS ont été créés en 2009 à l’initiative de la Russie, et à l’origine, il regroupait quatre états : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, puis l’Afrique du Sud. Depuis, plusieurs autres états les ont rejoints : comme l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, ou encore l’Iran et l’Égypte. Aujourd’hui, les BRICS représentent près de la moitié de la population mondiale, près d’un tiers du PIB de la planète, et leur puissance économique est deux fois et demie supérieure à celle de toute l’Union européenne. Les BRICS constituent donc un ensemble d’états incontournables aussi bien économiquement que politiquement.

Quel est l’objectif de Vladimir Poutine avec ce sommet des BRICS en Russie ? Cherche-t-il à montrer à l’Occident qu’il n’est plus isolé ?

Oui, tout à fait. Déjà en organisant le sommet des Brix en Russie, Vladimir Poutine, teste ses alliés pour savoir qui s’y rendra en dépit des sanctions qui pèsent sur le territoire russe. La visite d’Antonio Gutierrez, malgré le mandat d’arrêt qui est émis contre lui par la CPI, est un succès géopolitique majeur pour Vladimir Poutine. Enfin, en marge du sommet, la Chine et l’Inde se sont rapprochés, alors qu’ils étaient en froid depuis plusieurs années. Vladimir Poutine se positionne donc en médiateur, en leader de ce qu’on appelle le sud global, et propose à ses alliés une alternative au modèle occidental. L’un des sujets principaux qui a été évoqué lors du sommet est la création d’un système bancaire alternatif au système Swift, qui utilise le dollar, et dont la Russie a été exclu depuis son invasion de l’Ukraine. En somme, Vladimir Poutine et ses alliés posent les jalons d’un nouvel ordre mondial dans lequel l’Occident perd de son influence. L’opération de communication est en tout cas réussie et le message est passé.

Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que l’ONU est désavouée ?

L’ONU déçoit. Elle déçoit les populations qui subissent encore des guerres et toutes les conséquences qui vont avec. Elle déçoit aussi les états qui ne font pas partie du conseil de sécurité et qui n’ont qu’un pouvoir très limité lorsqu’un des cinq membres permanents décide d’utiliser son droit de veto. On voit bien qu’elle est aujourd’hui incapable de régler le conflit en Ukraine ou à Gaza et au Liban. Tout comme elle a été incapable de contraindre le Hamas de rendre les otages Israéliens pour éviter l’escalade qui a suivi le 7 octobre. L’ONU est donc contestée dans son efficacité pour maintenir la paix. Les attaques récentes contre la Finul, cette force d’interposition de casques bleus dans le sud Liban, ont fini de convaincre le monde que l’ONU avait probablement fait son temps. Donc oui l’ONU est imparfaite, et en fonction des secrétaires généraux dont elle se dote, elle est plus ou moins influente, et plus ou moins efficace. Mais lorsqu’on me pose cette question, je préfère la poser à l’envers : est-ce qu’un monde sans l’ONU serait un monde plus en paix ? Il est facile de voir là où l’ONU a échoué, mais combien de conflits l’ONU a-t-elle permis d’éviter en offrant à 193 états indépendant un lieu neutre et propice au dialogue et à la négociation ? Churchill avait l’habitude de dire que la démocratie était le moins mauvais des systèmes. Je dirais pareil de l’ONU. Pour l’instant, nous n’avons rien inventé de mieux.

Une interview de Laurence Aubron.