Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Les résultats sont encore provisoires mais Donald Trump est donné gagnant des élections américaines. Pourquoi ce scrutin est historique ?
C’est un scrutin historique à bien des égards. Déjà parce qu’il a opposé deux visions antagonistes de la société et du monde : d’un côté une vision fermée, centrée sur elle-même, et de l’autre une vision plus ouverte, du moins en apparence. Ensuite, parce qu’il a révélé aux Américains et au monde entier une société américaine profondément fracturée de l’intérieur, quasiment irréconciliable, et dont la croyance indéfectible dans les institutions et la démocratie vacille. Une aubaine pour les autocrates qui nous entoure, une source d’inquiétude majeure pour les démocraties qui tentent de survivre à l’ère des ingérences étrangères et des fake news. Enfin, c’est un scrutin historique parce qu’il s’agit d’un vote et d’une campagne extrêmement genrée. Donald Trump dans ses discours et dans ses choix de partisans et de soutiens s’est évertué à valoriser la femme dite traditionnelle, attachée à la famille avant tout ; tandis que Kamala Harris s’est érigée en défenseuse des droits des femmes à choisir leur destin, notamment en ce qui concerne l’avortement. La campagne de Donald Trump, surtout dans les dernières semaines, a été marquée par une mise en avant du « virilisme », d’une vision « poutinienne » de l’homme fort et viril. Il voulait s’assurer le vote des hommes, les blancs bien sûr, mais aussi les latinos et afro-américains, plus attachés à cette vision conservatrice de l’homme et de la femme. Et pour finir, c’est bien sur un scrutin historique parce qu’il aura des impacts sur l’Europe et sur le monde.
Justement, lorsque la victoire de Donald Trump a été annoncée, même si beaucoup s’y attendaient, c’est un sentiment de stupeur et d’inquiétude qui gagne les capitales européennes.
Oui en effet. Les relations entre les États-Unis et l'Europe ont toujours été un pilier des politiques extérieures de chaque continent. La question que beaucoup se posaient à Bruxelles et ailleurs était de savoir si ces relations allaient se détériorer et comment dans l’hypothèse d’une élection de Donald Trump ou de Kamala Harris. La Commission avait d’ailleurs mis en place un groupe de fonctionnaires chargés d’analyser et d’anticiper les conséquences notamment économiques et commerciales d’une victoire de l’un ou l’autre des candidats. Bien sur, la perspective d’une victoire de Donald Trump inquiétait davantage car c’était synonyme d’imprévisibilité, et on avait tous en mémoire les menaces de diminuer les dotations de l’OTAN ou de rétablir des droits de douanes conséquents sur les exportations européennes. Mais la perspective d’une victoire de Kamala Harris était aussi abordée avec prudence : elle n’est pas de la même génération que Joe Biden et a donc un lien avec l’Europe différent, plus distant ; dans l’optique d’une réélection en 2028, elle aurait pu aussi chercher le soutien des syndicats de travailleurs américains et augmenter les droits de douanes sur les produits européens. Donc quel qu’ait été le résultat, les Européens avaient bien conscience que la relation transatlantique était à un tournant.
Mais avec la victoire de Donald Trump, ce tournant risque d’être plus abrupte ?
La première inquiétude concerne l’Ukraine. Dès le début de sa campagne, Donald Trump a annoncé que s’il était président, il mettrait fin à la guerre en 24h. C’est peu probable. Mais la semaine dernière, il a dévoilé un plan de paix dans lequel il propose un cessez-le-feu durable et une négociation territoriale. En somme : il voudrait convaincre l’Ukraine de céder une partie de son territoire à la Russie. Mais la question n’est pas de savoir si les Ukrainiens accepteront ses conditions, mais d’abord si Vladimir Poutine les acceptera. Aujourd’hui, la Russie avance en Ukraine, elle est en position de force et elle n’a aucun intérêt à sceller un accord maintenant. D’autant que l’aide financière et militaire européenne et américaine risque de s’amenuir. Le temps est la meilleure arme du Président russe. Donc il y a fort à parier que sur le dossier ukrainien, rien ou peu ne bouge dans les premiers mois de la présidence de Donald Trump.
Et pour les Européens ?
En 2016, lorsqu’il a été élu pour la première fois, certains Européens s’en félicitaient et pensaient que c’était l’opportunité rêvée pour bâtir enfin une vraie autonomie stratégique et regarder la relation transatlantique de manière pragmatique et non béate ou naïve comme ça a longtemps été le cas. Mais en presque 10 ans, peu de choses ont évolué. L’industrie de l’armement européenne est toujours en berne ; l’Inflation Reduction Act adopté par l’administration Biden en 2022 a profondément impacté l’industrie européenne, notamment en ce qui concerne les véhicules électriques et les énergies vertes ; et la régulation des géants du numérique a été privée de son plus grand défenseur, Thierry Breton, qui s’est fait renvoyer de la Commission européenne. Donc aujourd’hui, l’élection de Donald Trump n’est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle pour les Européens. La question est de savoir si on est enfin prêts à se donner les moyens de nous affirmer politiquement, économiquement, et commercialement face à des puissances protectionnistes, comme les Etats-Unis mais aussi la Chine. Les propositions qui figurent dans le rapport de Mario Draghi pourraient nous conduire vers cette autonomie. Mais elles sont loin de faire consensus parmi les 27… or, le temps presse et la réélection de Donald Trump nous le confirme.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.