Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Comment peut-on résumer la situation actuelle en Ukraine, après 1000 jours de guerre ?
La guerre en Ukraine a transformé la géopolitique mondiale. Après plusieurs phases de conflit intense, dont le siège de Kiev, la bataille pour le Donbass et les contre-offensives ukrainiennes, la situation semble être dans une impasse stratégique. L’Ukraine, soutenue par les pays occidentaux, a montré une capacité de résistance remarquable, notamment grâce aux livraisons d’armes avancées, comme les systèmes HIMARS ou les chars Leopard. L’autorisation donnée par les États-Unis d’utiliser les missiles ATACMS dans la profondeur, c’est-à-dire en territoire russe, est également une avancée majeure. Mais les pertes humaines sont colossales, la population civile continue de souffrir des bombardements réguliers sur les infrastructures essentielles, notamment énergétiques, et l’armée russe grignote de plus en plus de terrain. Du côté russe, Vladimir Poutine semble jouer la carte de l’usure, comptant sur le temps pour diviser les soutiens occidentaux de l’Ukraine et stabiliser ses gains territoriaux. À ce jour, même si on entend parler de négociations de paix, on voit difficilement comment les deux parties pourraient se mettre autour de la table et parvenir à un compromis. L’Ukraine, et c’est bien normal, veut la restitution totale de son territoire, y compris la Crimée, et la Russie exige la reconnaissance de son contrôle sur les régions conquises.
Vous dites que la guerre en Ukraine a transformé la géopolitique mondiale. De quelle façon ?
Les enjeux dépassent les frontières de l’Ukraine. Pour les États-Unis, cette guerre représente un test pour le leadership mondial face aux régimes autoritaires. L’administration Biden a investi massivement dans le soutien militaire et financier à Kiev, en en faisant un symbole de la lutte pour la démocratie. L’objectif des Américains dans leur soutien à Kiev était aussi d’envoyer un message à la Chine, qui observe attentivement les événements dans la perspective d’une invasion de Taiwan. En Europe, cette guerre a été un électrochoc. Elle a révélé des dépendances dangereuses, notamment vis-à-vis de l’énergie russe, et a renforcé l’importance de l’OTAN. L’Allemagne, par exemple, a rompu avec sa politique de défense historique en augmentant son budget militaire. Mais cette unité a un coût : l’inflation énergétique pèse sur les économies européennes, et les divisions internes se multiplient à mesure que le conflit s’éternise. Enfin, cette guerre a aussi contribué aux tensions géopolitiques dans d’autres régions, comme le Moyen-Orient et l’Afrique, où la Russie tente de compenser son isolement occidental par des alliances stratégiques.
Comment la réélection de Donald Trump pourrait-elle influencer l’avenir de la guerre en Ukraine ?
Il est très difficile de répondre à cette question parce que Donald Trump est un personnage extrêmement imprévisible. Lors de son premier mandat, Trump avait critiqué à plusieurs reprises l’OTAN, affirmant que les États-Unis supportaient une charge disproportionnée pour la défense européenne. Cette vision pourrait le conduire à réduire l’aide militaire à l’Ukraine, voire à tenter de négocier directement avec Poutine pour "mettre fin à la guerre".
Trump a également des antécédents de déclarations ambiguës sur la Russie. Bien qu’il ait approuvé des sanctions contre Moscou, il a souvent minimisé les actions de Poutine, le qualifiant de "leader fort". Mais bien malin serait celui capable de prédire ce que fera Donald Trump une fois au pouvoir en janvier prochain. On sait aussi qu’il aime montrer qu’il est un homme fort, puissant, sans peur. Face à Vladimir Poutine, il ne pourrait pas supporter de perdre la face et il pourrait tout à fait décider que c’est dans son intérêt et dans celui des États- Unis de continuer à soutenir l’Ukraine. A ce jour, toutes les hypothèses doivent rester ouvertes.
Quelle serait la réaction de l’Europe face à un éventuel retrait américain du soutien à l’Ukraine ?
On aime à dire que les Européens ont anticipé la victoire de Donald Trump et que nous avons pris conscience qu’il faut renforcer notre autonomie stratégique. Mais la réalité c’est que peu a été fait dans ce sens depuis 2016. Si les Américains venaient à lâcher les Ukrainiens, les Européens seraient incapables de suppléer à l’aide américaine dans la durée. À ce titre, l’entrée en cobélligérance de la Corée du Nord aux cotés des Russes est peut-être une bonne nouvelle car elle a poussé la Corée du Sud à sortir de sa réserve et à envisager de livrer directement des armes à l’Ukraine. La Corée du Sud dispose d’un armement très conséquent donc ce serait utile à l’Ukraine. Mais tout est une question de temps et Vladimir Poutine l’a bien compris.
Donald Trump pourrait-il chercher à accélérer les négociations de paix ?
Oui bien sûr. Mais la question c’est à quel prix ? Pour le moment, la Russie n’a aucun intérêt à négocier. Elle avance, doucement mais surement, et gagne du terrain. Donc elle peut encore attendre quelques mois avant d’avoir envie de s’assoir à la table des négociations. Mais l’Ukraine serait perdante puisque la Russie n’envisagerait une paix qu’au prix des territoires ukrainiens qu’elle a déjà conquis. Si la paix négociée revient à refaire des accords de Minsk, on peut être sûr qu’ils seront à nouveau rompus. La seule manière de contraindre Vladimir Poutine a respecter durablement des accords de paix avec l’Ukraine serait d’établir un vrai rapport de force : s’il voit qu’il a face à lui une Europe unie derrière l’Ukraine, prête à réagir massivement en cas de nouvelle attaque, ça le dissuadera. Mais si nous continuons de nous montrer désuni et désarmé, la Russie et d’autres sauront certainement en tirer avantage.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.