Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Cette semaine vous avez souhaité adresser votre chronique plus spécifiquement à la jeunesse européenne. Pourquoi ?
Depuis plusieurs mois maintenant on entend parler des élections européennes qui arrivent et je suis frappée d’entendre systématiquement des questions du style : peut-on avoir confiance dans l’Europe ? Pourquoi l’Europe n’est-elle pas plus démocratique ? Les institutions, c’est trop compliqué donc pourquoi s’y intéresser ? Et j’en passe. Hormis quelques médias qui ont tenté de montrer les apports réels et positifs de l’Union européenne sur nos vies quotidiennes, on entend quand même bien plus souvent des remarques négatives, voire carrément pessimistes sur l’Europe et son avenir. Or, la période actuelle est une période exceptionnelle. Certes, il se passe des choses horribles dans bien des endroits du globe, certaines pas si loin de chez nous. Mais on ne peut que constater que le contexte de multiplications des crises, bien loin d’avoir paralysé l’Europe, l’a au contraire poussé à se transformer bien plus vite ses derniers mois qu’en 70 ans d’existence ! Il y a donc de l’espoir, beaucoup d’espoir, et c’est ça que je veux essayer de transmettre à deux semaines des élections européennes.
Qu’est-ce qui explique selon vous que beaucoup des débats sur l’Europe pendant cette campagne soient si négatifs ?
Déjà il faut se souvenir que ça n’a rien de nouveau. À part peut-être dans les années 50 et 60, au moment de sa construction, l’Europe souffre d’un déficit de connaissance et de confiance de la part des citoyens. C’est un fait : elle s’est progressivement éloignée du citoyen pour devenir une super structure complexe, difficile à appréhender et peu relayée dans les débats nationaux. Mais aujourd’hui le contexte est particulier puisque l’Europe et les valeurs qu’elle porte n’ont probablement jamais été aussi en danger qu’actuellement. Et ces dangers sont de plusieurs ordres. Le retour de la guerre à ses frontières bien sur – et Vladimir Poutine teste quotidiennement en Ukraine notre résistance et notre solidarité ; mais aussi le décrochage économique et commercial de l’Europe face à des concurrents plus que jamais protectionnistes (États-Unis et Chine notamment). Le danger, c’est aussi la désinformation massive, la manipulation de l’information que subissent nos démocraties et contre lesquels nous n’avons pas beaucoup d’armes efficaces, à part l’éducation et la sensibilisation. Autre danger, cette fois endogène : c’est la fragilisation de nos systèmes démocratiques, et de nos libertés.
Comment cela se caractérise concrètement ?
Nos sociétés sont profondément fracturées. Cette fracture est particulièrement caricaturale aux États-Unis, mais elle nous guette de plus en plus ici en Europe. La fracture, elle est d’abord économique et sociale avec des écarts entre les plus riches et les plus pauvres qui se creusent, une inflation de plus en plus difficile à réguler. Mais la fracture est aussi éducative, culturelle, et politique. La confiance des citoyens français notamment envers leurs dirigeants nationaux et européens est de plus en plus basse, et le consensus de plus en plus difficile à obtenir. Les tentations de voter pour des mouvements de la droite et de la gauche radicales sont de plus en plus fortes, ce qui cristallisent plus encore les tensions et vient aggraver les fractures existantes.
En quoi le fait d’avoir « plus d’Europe » permettrait-il de résoudre ces fractures ?
Plus d’Europe, c’est d’abord plus de poids dans les affaires du monde. Lorsqu’on entend les détracteurs de l’Europe dire qu’elle ne pèse plus rien au niveau international, et dans le même temps, plaider pour moins d’Europe, c’est totalement contradictoire. Qui peut aujourd’hui encore croire que la France se porterait mieux sans l’Europe ? Certes nous avons l’arme nucléaire et un siège au conseil de sécurité des Nations Unies. Mais est-ce que cela nous protège contre la désinformation massive venue de Russie ? Contre le crime organisé ? Contre les migrations ? Ou encore contre le décrochage économique ? La réponse me parait évidente.
Quel message voudriez-vous aujourd’hui que les jeunes Européens entendent et partagent ?
Plus nous serons nombreux à défendre les mêmes valeurs et les mêmes modes de vie, plus nous seront puissants. En entendant certains débats aujourd’hui, je ne peux pas m’empêcher de repenser à mes grands-parents qui me racontaient leur enfance pendant la guerre, sous l’occupation. Et souvent ils me disaient qu’ils ne savaient pas bien à quoi servait l’Union européenne, mais qu’ils savaient une chose : c’est que grâce à ce « machin » les Européens ne se feraient plus la guerre entre eux et se protégeraient les uns les autres. Il n’y a pas besoin de comprendre tout de l’Union européenne, de son fonctionnement, de ses modalités, de ses différentes politiques, ni de rentrer dans la politique politicienne pour faire un constat : elle est le dernier rempart qui nous protège contre des modèles alternatifs qui ne croient absolument pas en la démocratie ou dans les libertés individuelles. Regardez l’Ukraine. Regardez la Géorgie. S’ils le pouvaient, ils n’hésiteraient pas à nous rejoindre pour bénéficier de cette protection. Il faut qu’on ait conscience de la chance que nous avons ici en Europe, même si tout n'est pas parfait. Et il faut aussi qu’on ait conscience que la paix, la liberté, la démocratie, ce n’est jamais acquis. L’enjeu des élections européennes le 9 juin prochain, c’est d’abord ça pour moi.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.