·Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui vous consacrez votre chronique au projet d’accord commercial entre l’UE et le Mercosur. Que sait-on sur cet accord ?
Il s’agit d’un accord qui date de 2019 entre l’Union européenne et les pays de l’alliance du Mercosur. Le Mercosur, c’est un marché commun d’Amérique du Sud créé en 1991, composé du Brésil, de l'Argentine, de l'Uruguay et du Paraguay. La signature de cet accord il y a 5 ans fait suite à des années de négociations et de discussions. L’objectif était d’établir une zone de libre-échange grâce à un accord d’association commerciale et politique. Ce type d’accord n’a rien de nouveau puisque l’UE en a avec toutes les régions du monde. Mais celui-ci est l’un des plus important puisqu'il concerne près de 780 millions de personnes et qu’il représente plus de 40 milliards d'euros d'importations et d’exportations. Le problème avec l’accord UE-Mercosur c’est qu’en cinq ans, il n’a toujours pas été ratifié.
Pourquoi ?
Depuis 2019, certains États européens s’opposent à cet accord, dont la France et l'Allemagne. C’est sur le volet économique de l’accord que ça coince le plus. Ils s’appuient notamment sur un rapport publié en 2020 qui explique que les gains économiques réalisés par cet accord seraient quoi qu’il arrive inférieurs au coût environnemental. En effet, la politique brésilienne notamment ne tient que très peu compte des impacts environnementaux liés à la déforestation de l’Amazonie. Or, c’est un sujet épineux en Europe. En 2013, la Commission a même proposé de bannir l’importation de produits issus de la déforestation, ce qui ne plait absolument pas aux pays du Mercosur. Et un autre enjeu, c’est l’impact de l’accord sur les agriculteur·rices européen·nes. Ces dernières semaines ont bien démontré à quel point le sujet était sensible.
Que s’est-il passé en 5 ans, y a-t-il eu des avancées ?
Alors il y a eu beaucoup de propositions en 5 ans, notamment le 13 juin 2023, l’Assemblée nationale française a demandé que l’accord intègre des clauses nouvelles, comme le respect des normes de production européennes, des normes sanitaires européennes, etc. Mais toutes les propositions se heurtent aux volontés contradictoires des États européens. Certains, comme la France ou la Pologne, exigent des garanties environnementales et sociales pour éviter un nouveau dumping, et d’autres, comme l’Espagne ou l’Italie, et même plus récemment l’Allemagne, souhaitent conclure un accord au plus vite pour pallier les déficits commerciaux liés notamment au ralentissement du commerce avec la Chine.
Les Européen·nes ont-il·elles vraiment besoin de cet accord ?
Il faut bien comprendre que derrière cet accord, il y a un gros enjeu géopolitique. Les Européen·nes cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement en matières premières. Surtout depuis le Covid et la guerre en Ukraine qui ont montré la fragilité du modèle européen fondé sur le libre-échange et la croyance dans les vertus indéfectibles du commerce mondial. L’accord avec le Mercosur, l’UE en a besoin. Mais pas à n’importe quelles conditions au risque de perdre toute crédibilité à l’avenir, notamment lorsqu’elle prône en interne des politiques sociales et environnementales exigeantes. La colère des agriculteur·rices qui traverse l’Europe entière vient renforcer cette idée : si les États européens à travers leurs accords commerciaux créent les conditions d’une concurrence déloyale, il y a fort à parier que le mouvement de contestation agricole continue de s’étendre et de s’intensifier.
En décembre dernier, on a pourtant eu l’impression que les choses avançaient et que les pays européens et ceux du Mercosur étaient sur le point de se mettre d’accord. Que s’est-il passé ?
Dernièrement, avec l’élection du Président Lula au Brésil, bien moins climatosceptique que son prédécesseur Jair Bolsonaro, la Commission avait repris espoir et intensifié ses efforts pour renégocier les termes de l’accord. Elle y était presque parvenue en fin d’année. Et le 7 décembre dernier, le sommet du Mercosur qui se tenait à Rio aurait dû sceller cet accord. Mais c’était sans compter sur le revirement de dernière minute de l’Argentine.
À quoi est-il dû ?
Contre toute attente, c’est Javier Milei qui a remporté les élections présidentielles en Argentine, avec plus de 55 % des voix. C’est un personnage haut en couleur que certains comparent même à Donald Trump. Il est ultralibéral et a entamé une série de privatisations sans précédent dans l’histoire du pays. Sa vision libérale de l’économie et du commerce l’a conduit a rejeté d’emblée les conditions demandées par les Européen·nes, notamment en matière de déforestation.
Et la position de la France a-t-elle évoluée ?
Non pas vraiment, en revanche, elle se retrouve aujourd’hui assez isolée dans son positionnement contre l’accord UE-Mercosur. Emmanuel Macron l’a dit lui-même en parlant de cet accord lors de la COP28 à Dubaï : « Je ne peux pas demander à nos agriculteurs et à nos industriels (…) d’œuvrer à la décarbonation de leurs activités, et dans le même temps supprimer les droits de douane sur des biens qui ne respecteraient pas ces règles ». Le rejet de l’accord par l’Argentine donne donc encore un sursis à la France pour tenter d’imposer sa vision des choses. Et la diffusion du mouvement de contestation des agriculteur·rices à toute l’Europe, notamment l’Allemagne depuis le début de l’année, va peut-être convaincre les Européen·nes d’être plus exigeant·es dans leurs accords commerciaux. Mais la véritable question, c’est en a-t-on vraiment les moyens ?