Cette semaine, Jeanne Gohier de Fideas Capital nous parle des craintes de certains analystes à-propos de l'apparition d'une bulle financière due à l'attirance de la finance pour les entreprises avec les meilleures performances environnementales.
Nous l’avons vu ces derniers mois, la finance est très attirée par les entreprises avec les meilleures performances environnementales, au point que certains analystes craignent l’apparition d’une bulle financière. Qu’est-ce que c’est exactement ?
Une bulle financière c’est lorsque les prix d’un actif ou d’un ensemble d’actifs financiers montent très fortement de manière irrationnelle : on n’arrive pas à justifier cette montée des prix en analysant leur valeur fondamentale. Elle apparaît lorsque certains investisseurs anticipent une forte croissance du secteur : ils achètent massivement les titres du secteur concerné, leur prix augmente car il y a un excès d’acheteurs par rapport aux vendeurs. Ce phénomène s’amplifie au fur et à mesure du temps. Même si la hausse des prix permet aux entreprises de lever beaucoup de capitaux pour financer de nouveaux projets, la bulle risque d’éclater et on assiste alors à une chute spectaculaire des prix des actions, ce qui peut mettre en danger certaines entreprises.
Est-ce que c’est ce qu’on voit apparaître pour les titres que l’on dit « verts » sur les marchés financiers ?
Certains analystes financiers se posent la question, en voyant l’évolution des prix de certaines actions, notamment des entreprises productrices d’électricité renouvelable, comme le danois Orsted, l’entreprise portugaise EDP Renovaveis, ou encore le producteur autrichien Verbund. Ces entreprises sont un peu pionnières car elles produisent la majorité de leur électricité en utilisant des énergies renouvelables. L’évolution spectaculaire des prix des actions peut faire penser à une bulle.
Est-ce que tous les analystes financiers sont du même avis ?
D’autres analystes réfutent cette hypothèse, notamment parce qu’ils trouvent une explication derrière cette hausse très importante du prix de ces actions dites « vertes » : elles sont bénéficiaires de la transition, en investissant dans ces entreprises on se protège mieux des risques de hausse du prix du carbone, ou d’éventuelles poursuites judiciaires qui commencent à apparaître pour les pétrolières notamment…
Mais alors qu’est-ce qui peut expliquer cette hausse des prix ?
Depuis un an, le nombre de fonds estampillés « investissement responsable » a explosé ; les épargnants cherchent de plus en plus à souscrire une assurance-vie ou un plan d’épargne en actions avec un moindre impact environnemental. Les investissements verts ont aussi le vent en poupe car ils on fait de très belles performances financières, ce qui rassure lorsqu’on a un compte d’assurance-vie ! Les investisseurs nourrissent le mouvement en investissant largement dans un petit nombre de « champions de la transition écologique » : les producteurs d’hydrogène, d’énergies renouvelables, les constructeurs de voitures électriques… Cela fait grimper les prix, au détriment des entreprises qui sont les plus concernées par ce besoin de se transformer : les géants industriels les plus polluants.
Est-ce que les prix des entreprises championnes de la transition pourraient chuter ?
Ce n’est pas impossible, tout dépend des décisions d’investissement : s’il y a vraiment une bulle autour des actifs verts, alors il y a deux risques : le premier, que cette bulle éclate, comme la bulle internet au début des années 2000, date à laquelle les valeurs du secteur de l’informatique et des télécommunications s’étaient effondrées après une hausse spectaculaire. Le deuxième, c’est que les cours des actions vertes puissent faire les montagnes russes, car leur prix est très instable : une évolution technique ou une nouvelle réglementation peut faire tout basculer ; c’est d’autant plus dangereux lorsque les actions montent, parce qu’on a tendance à trouver cela merveilleux et bénéfique pour les entreprises.
Si les prix venaient à chuter, cela serait catastrophique pour ces entreprises, comment l’éviter ?
Oui cela serait catastrophique car les entreprises seraient confrontées à une perte brutale de capitaux qui leur permettrait de grandir et de financer de nouveaux projets. La meilleure manière de l’éviter est sans doute d’élargir les investissements, notamment vers ces géants industriels qui font de vrais efforts pour se transformer et diminuer leur impact écologique. Cela sera d’autant plus bénéfique que les grandes entreprises ont la possibilité d’avoir un impact beaucoup plus important, étant donné que ce sont les plus polluantes !
Laurence Aubron - Jeanne Gohier
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici