Le Parlement européen a voté la semaine dernière une résolution en faveur d’une taxe carbone aux frontières européennes. En quoi est-ce que cela consiste Jeanne Gohier ?
Le Parlement européen a voté le 10 mars en faveur d’une résolution sur un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ce qu’on appelle plus familièrement une taxe carbone aux frontières. L’idée avait été portée par des eurodéputés français et il permet d’imposer le même prix du carbone aux produits importés en Europe qu’aux produits fabriqués en Europe. C’est une bonne nouvelle pour la transition, car c’est une initiative qui peut faire diminuer les émissions carbone des industries très polluantes.
Quelle est l’origine d’une telle résolution ?
Rappelez-vous dans une chronique précédente nous avions parlé du marché européen du carbone, dans lequel les entreprises des secteurs les plus polluants reçoivent des droits à polluer et peuvent en acheter ou en vendre, ce qui fixe un prix du carbone. Une entreprise de sidérurgie doit donc payer pour avoir le droit de polluer si elle installe ses usines dans l’Union européenne. Le problème est que cela l’incite à délocaliser ses usines sur un territoire qui n’a pas de régulation comme un marché ou une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre : c’est un phénomène qu’on appelle la fuite carbone. La taxe carbone aux frontières vient corriger ce problème en faisant payer une taxe sur la pollution du produit importé.
Concrètement comment cela va-t-il fonctionner ? Comment est définie la taxe ?
Reprenons l’exemple d’un producteur d’acier qui a installé son usine en dehors du territoire de l’Union européenne. Il va devoir dévoiler l’empreinte carbone de l’acier qu’il produit. Si celle-ci est plus élevée que celle qui est imposée aux entreprises de l’Union européenne, il doit payer une taxe sur le surplus d’émissions. Cela l’incite à diminuer l’empreinte carbone de son produit, même si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas échangées sur un marché.
Cela va rapporter de l’argent à l’Union européenne ?
Oui, on estime que cette taxe carbone pourrait rapporter entre 5 et 14 milliards d’euros chaque année. Mais ce n’est pas le plus important, parce qu’elle permet surtout d’améliorer la compétitivité de l’industrie européenne. Les secteurs très émetteurs de gaz à effet de serre, comme les matières premières énergétiques mais aussi le ciment, la chimie, le verre, étaient désavantagés par rapport à leurs concurrents non Européens car ils devaient payer des coûts supplémentaires. Avec cette taxe carbone aux frontières, ils reviennent sur un même pied d’égalité avec la concurrence internationale.
Est-ce que cette nouvelle résolution présente des risques économiques ?
La résolution a été adoptée sur le principe, mais il faut l’affiner. Le danger principal d’une telle taxation est l’augmentation des prix sur les produits importés, en particulier ceux du charbon, des produits pétroliers raffinés et du ciment. Comme cette répercussion sur les prix serait très inégale en fonction des produits, il va falloir ajuster la législation pour éviter une augmentation du coût de certains produits indispensables. L’autre grand sujet c’est la disparition ou non des quotas gratuits sur le marché européen une fois cette nouvelle taxe mise en place. Rappelez-vous : l’Union européenne distribue des droits à polluer gratuits aux entreprises qui échangent sur le marché du carbone. Pour diminuer les émissions, il faut diminuer ce nombre de quotas gratuits.
J’ai l’impression que l’abandon de ces quotas gratuits n’est pas aussi simple à mettre en place…
En effet, à terme il va falloir les supprimer pour favoriser la transition écologique et diminuer l’empreinte carbone de l’UE rapidement et efficacement. Mais si on les supprime trop vite, on pourrait faire grimper les prix et diminuer la compétitivité de l’industrie européenne. La mise en place de la taxe carbone aux frontières doit être articulée judicieusement avec ce rythme de diminution des quotas gratuits.
Interview réalisée par Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici