Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un des membres du collectif de chercheurs réunis dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Bertrand Augier, vous êtes Maître de conférences à Nantes Université, spécialiste en histoire romaine. Et vous évoquez aujourd’hui un concept dont on a tous entendu parler à l’école, sans vraiment savoir le définir : la « pax Romana ».
Cette expression de « paix romaine » est effectivement l’une des formules les plus usitées pour évoquer l’empire romain.
Elle caractérise à la fois une période, le Ier et le IIe s. après J.-C., considérée comme l’apogée de l’empire, et un espace géographique, le territoire dominé par Rome.
Au-delà, elle renvoie à un mode de gouvernement du monde décrit comme exemplaire. Elle suggère que Rome aurait apporté la paix et la prospérité aux populations soumises, un modèle fixé pour la postérité notamment par Tacite dans sa version du discours que le gouverneur romain Cerialis tint face aux Trévires (les habitant de Trèves, donc) en l’an 69, associant la fiscalité à la paix qui en était le fruit, et insistant sur l’intégration des notables provinciaux au sein de la citoyenneté romaine.
Il existait donc un lien entre paix et grand projet d’intégration impériale ce qui explique l’attrait que le concept a pu revêtir bien plus tard, notamment dans le cadre de la construction des empires coloniaux modernes.
C’est donc un concept assez ambigu, en fait ?
Il est surtout très rare. L’ensemble de la littérature latine ne présente qu’une douzaine d’occurrences de l’expression pax Romana, qui pour la plupart renvoient à une période antérieure, celle de la République romaine. Or, le terme pax ne désignait alors que le traité mettant fin à la guerre, une paix largement imposée par Rome à ses adversaires, qui était en fait une soumission à la domination romaine. C’est ainsi que pour Tite-Live, la pax romana est en fait une pax data, une paix accordée aux adversaires, comme un privilège. (Bien évidemment, l’historiographie romaine tend à masquer les défaites romaines et les traités désavantageux…)
Ce modèle est donc celui d’une paix qui ne peut être conclue qu’en position de force. Et il pousse les Romains à des guerres sans merci, contrairement aux règles de la guerre dans le monde grec, comme la montré l’historien Mathieu Engerbeaud. Dans le cadre d’une cité caractérisée par l’agressivité de sa politique extérieure, la pax Romana était par ailleurs un moment transitoire : ainsi, on sait que Rome avait pour tradition de fermer les portes du temple de Janus lorsque la cité était en paix. Or cela n’arriva qu’une fois dans cette période, en 335-334 avant notre ère.
La paix romaine était donc l’exception plutôt que la règle !
C’est avec le règne d’Auguste que les représentations attachées à la paix changent.
Auguste arrive en 27 avant J.-C., au terme d’une période de près de vingt années de guerres civiles, et assoit son pouvoir sur l’idée d’un retour à la concorde civile : il fait ainsi fermer les portes du temple de Janus et il fait édifier « l’Autel de la Paix Auguste », dont le nom même souligne que la paix était l’œuvre de l’empereur.
Cette conception politique nouvelle de l’empereur comme pacificateur va être encore renforcée au Ier siècle avec Vespasien, qui est appelé conseruator pacis (« conservateur de la paix »). La paix est alors associée plus largement à la prospérité, et devient à ce moment une valeur de gouvernement, comme l’affirme Christophe Badel. Ce n’est pas un hasard si l’apogée de cette exaltation de la paix associée à l’empereur intervient aux IIIe et IVe siècles, en réponse au contexte d’instabilité politique, militaire et économique que connaît l’empire au IIIe siècle.
C’est cette pax Augusta, définie parfois comme perpétuelle, qui constitue un concept politique clé pour les Romains, non celle de pax Romana.
Pour les Romains, c’est donc plutôt cette « pax Augusta » qui est le concept clé, pas la « pax Romana » ?
Exactement. La pax Romana, c’est d’abord la paix imposée par Rome à ses ennemis, puis elle prend un sens plus large dans la deuxième moitié du Ier siècle, pour désignerl’Imperium Romanum, le territoire sous la domination de Rome. De sorte que l’on peut considérer que les Romains ne connurent en réalité qu’une paix à l’époque impériale, la pax Augusta.
Merci beaucoup, Bertrand Augier, pour cette clarification conceptuelle bienvenue.
Je rappelle que vous êtes historien à Nantes Université.