Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

La coopération franco-allemande : 60 ans, et maintenant ?

ADP : Ludovic MARIN La coopération franco-allemande : 60 ans, et maintenant ?
ADP : Ludovic MARIN

Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.

Ce 22 janvier 2023, nous fêtions le 60e anniversaire du traité de l’Élysée. Pourquoi est-ce une date majeure pour la relation franco-allemande ?

Parce que ce traité a cristallisé un tournant : ce n’est pas pour rien qu’il est souvent dit “d’amitié” entre nos deux pays. A peine vingt ans après 1945, il a ouvert une nouvelle ère, permis la création de l’OFAJ par exemple - l’Office franco-allemand pour la jeunesse, qui favorise les échanges, des enfants aux jeunes adultes. Ce traité, c’est un symbole majeur dans une relation qui en compte beaucoup. Sans doute parce que nous revenons de très loin en matière d'inimitié entre nos deux pays. Et sans doute parce qu’il y a la volonté d’autant plus de travailler ensemble.

60 ans après, comment travailler ensemble ?

C’est LA question de ces derniers mois, à la suite du report du Conseil des ministres bilatéral en octobre 2022. Je dirais qu’il ne faut pas idéaliser le passé : notre coopération n’a jamais été un long fleuve tranquille, ni en 1963, ni en 2019 lors de la signature du traité d’Aix-la-Chapelle et de la création de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, ni à l’évidence en 2022-2023. La guerre en Ukraine n’y est pas pour rien : Français·es et Allemand·es font face à une crise existentielle. Qu’ils ne soient pas d’accord au début de quelque chose est en réalité une constante, mais on manque parfois de compréhension de l’autre, ne serait-ce que de pratique de la langue de l’autre - le traité d’Aix-la-Chapelle a dû être négocié en anglais, un comble ! Et on manque aussi de coordination. Dommage que cela alimente par moments les ressentiments et frustrations.

Que représente donc cette coopération entre des partenaires qui ne sont d’accord sur rien, mais qui cherchent à travailler ensemble sur tous les sujets ?

La paix. Vous me direz qu’il s’agit d’enfoncer une porte ouverte, mais quatre-vingts ans de paix inédite entre nos deux pays, c’est loin d’être un mince succès. La guerre en Ukraine le rappelle d’ailleurs tous les jours. J’ajouterais que la coopération franco-allemande, si elle n’est pas suffisante, reste essentielle pour avancer entre Européen·nes, comme la construction européenne a permis la réconciliation bilatérale. Paris et Berlin, ce sont 150 millions d’habitants et les deux premières économies de l’UE. À ceci près que la France a perdu en poids économique face à l’Allemagne, que les coopérations entre États membres sont multiples, et que l’Europe centrale et orientale compte peser dans le débat.

Il reste que notre coopération bilatérale est riche : à tous les niveaux, dans tous les domaines, dans le cadre des jumelages, dans les entreprises, les associations, entre responsables publics. Cette coopération est d’ailleurs source d’inspiration : pour l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux en 2016, le traité du Quirinal en 2021, ou le tout récent accord franco-espagnol.

La coopération franco-allemande est “riche”, dites-vous : de quels projets concrets s’agit-il ?

Si l’on parle de projets bilatéraux, il y a bien sûr l’OFAJ, mais aussi Airbus, créée comme co-entreprise en 1970, la brigade franco-allemande depuis 1989, Arte depuis 1991, naguère considérée comme élitiste et aujourd’hui un modèle de présence et d’activité sur Internet, ou le fonds citoyen franco-allemand créé en 2019 pour soutenir des projets citoyens… Ce sont aussi les milliers d’entreprises allemandes implantées en France et inversement. Près de 3 000 entreprises françaises sont détenues par un investisseur allemand, ce qui représente plus de 325 000 emplois. Ce sont également des projets de rapprochement économique, juridique : l’Assemblée parlementaire franco-allemande s’est par exemple saisie sous les précédentes législatures française et allemande d’un projet de cadre harmonisé d’activités pour les entreprises - ce serait une mise en oeuvre de l’ambition d’”intégration” du traité d’Aix-la-Chapelle.

Vous qualifiez aussi la coopération Paris-Berlin de “nécessaire” aux avancées européennes. Pourquoi ?

Sans Paris et Berlin, difficile d’avancer. L’Initiative européenne d’intervention entend depuis 2018 rapprocher les cultures stratégiques de la dizaine d’États volontaires : à l’initiative de la France, avec l’Allemagne. Ce n’est pas un projet bilatéral, mais il prend son sens dans la coopération bilatérale et européenne. Autre exemple : c’est le plan de relance européen de 750 milliards d’euros de 2020, permis par un accord franco-allemand. En matière économique, industrielle, scientifique…. la coopération bilatérale n’est pas directement visible, mais incontournable.

Qu’attendiez-vous de ce 60e anniversaire ? A-t-il été à la hauteur des attentes, et permet-il d’avancer ?

J’en attendais la réaffirmation que chacun accorde une valeur essentielle à la coopération et au dialogue : à l’automne 2022, il y a pu y avoir le sentiment d’une moindre attention, face aux difficultés internes et aux crises. On pouvait en attendre aussi des symboles forts, qui font à la fois image et sens : l’hommage à Simone Veil, les discours à la Sorbonne, le Conseil des ministres et la réunion de l’Assemblée parlementaire franco-allemande… Intéressant d’ailleurs de mêler le gouvernemental et le parlementaire.

Comme beaucoup, j’en attendais aussi des avancées concrètes - nous avons eu des accords sur le projet de système de combat aérien du futur, le SCAF, ou sur l’énergie à l’automne, mais les dossiers où la coopération peut porter ses fruits sont nombreux. On peut ainsi se féliciter de l’ambition de se projeter vers l’avenir, de réaffirmer l’engagement commun pour une Europe “souveraine”, résiliente et innovante, puissance de premier plan et leader environnemental. On aurait pu souhaiter plus, mais on peut souligner les convergences en matière de production et de transport d’hydrogène, de politique industrielle ou d’aides d’État.

Selon une récente enquête Ipsos pour la Fondation Heinrich Böll, de bonnes relations entre nos deux pays sont jugées importantes ou essentielles par 81 % des Français·es et des Allemand·es, qui portent d’ailleurs un regard convergent sur les défis auxquels nous faisons face. L’attente est forte : continuons à tracer notre chemin commun.

Entretien réalisé par Cécile Dauguet.