Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Cette semaine, cap sur l’énergie, avec des avancées concrètes en Allemagne après les annonces du nouveau gouvernement de coalition en janvier dernier. Et surtout alors que l’Europe cherche la voie de l’autonomie énergétique face à la guerre en Ukraine.
Oui, nous en avions parlé à plusieurs reprises, la lutte contre le changement climatique est une priorité du gouvernement fédéral en Allemagne. Gouvernement qui avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme le 11 janvier dernier. Le ministre fédéral de l'Économie et de la Protection du climat, le Vice-chancelier Robert Habeck, avait alors souligné que les objectifs climatiques 2021 étaient manqués. Ceux de 2022, 2023 et 2030 risquaient aussi de l’être. Or l’Allemagne entend atteindre la neutralité carbone d’ici 2045. La neutralité carbone, c’est l’équilibre entre les émissions de CO2 et leur retrait de l’atmosphère.
Une ambition forte donc, mais compliquée à mettre en œuvre, alors que l’Allemagne reste un grand pollueur.
L’ambition annoncée en janvier était de “tripler le rythme de réduction des émissions”. La tâche est “gigantesque” pour la quatrième économie mondiale : le mot est de Robert Habeck. Avec trois mots d’ordre pour y parvenir : accélérer le développement des renouvelables, stabiliser les prix de l’énergie, et exploiter le potentiel de l’innovation industrielle. Depuis janvier, la guerre en Ukraine et les dernières alertes du GIEC n’ont fait que renforcer l’urgence.
Avec des premières annonces concrètes en ce début de mois d’avril.
Oui, après le cap fixé, un premier projet de loi était attendu, sur le développement des énergies renouvelables. Sa présentation est chose faite depuis le 6 avril. L’objectif jusqu’ici était de 65 % de l’électricité consommée en Allemagne grâce aux renouvelables d’ici 2030 : il sera désormais de 80 %, et même de presque 100 % d’ici 2035. Contre 42 % actuellement, rappelle le ministère fédéral des Affaires étrangères.
Utilisation des renouvelables donc, mais aussi, en amont, développement de leurs capacités de production : le gouvernement fédéral entend la tripler. Pour cela, le projet de texte comporte deux volets majeurs.
- Le premier : le développement des renouvelables sera à partir du 1er juillet financé directement par le budget de l’Etat. La suppression d’une taxe spéciale allègera par ailleurs la facture des ménages et des entreprises.
- Le second volet, c’est l’accélération de la construction et la modernisation des installations. Les énergies renouvelables seront définies comme d’”intérêt public” au service de “la sécurité publique”.
D’autres textes sont attendus, mais d’ores et déjà celui-ci sera examiné par le Bundestag et le Bundesrat.
Où l’Allemagne va-t-elle aller avec ce texte ?
La raison pour laquelle je voulais revenir sur la mise en œuvre de la nouvelle ambition énergétique de l’Allemagne, c’est que les questions énergétiques sont au cœur de bien des débats.
Des débats climatiques, avec le volet du sixième rapport du GIEC présenté le 4 avril, qui rappelle qu’il nous reste trois ans pour agir. Or la bonne nouvelle est que nous en avons les moyens, à tous les niveaux. Il importe que les actions soient coordonnées, déterminées, suivies dans le temps. Favoriser la transition énergétique en fait partie.
Les questions énergétiques sont aussi au cœur des débats sociaux et sociétaux, sur les inégalités sociales et géographiques, les questions de mobilité. La crise des gilets jaunes en France fin 2018 avait mis en lumière cette dimension. Et l’augmentation des prix ces derniers mois le rappelle crûment.
Et bien sûr, des débats géopolitiques et stratégiques.
Nous sortons d’une pandémie qui a profondément bouleversé nos économies, et au moment de la reprise, l’Allemagne prend conscience combien les questions énergétiques ne sont pas que des questions commerciales, économiques. Choisir avec telle énergie, auprès de tel fournisseur, est un choix stratégique.
Face à la Russie puis la guerre, l’Allemagne a fait un premier pas en stoppant le projet de gazoduc Nord Stream 2, puis a travaillé à diversifier son approvisionnement, établi des plans en cas de rationnement, accélère le développement des renouvelables. Olaf Scholz l’avait souligné devant le Bundestag lors de son discours sur le tournant stratégique, le 27 février dernier, les renouvelables sont un outil majeur à mobiliser. Les interdépendances, sur les matières premières, les biens transformés, sont complexes, les chaînes de valeur profondément intriquées.
Comment s’articulent les débats à ce sujet en France et en Allemagne ?
La campagne des législatives en Allemagne en 2021 avait mis en son cœur les questions environnementales - les Verts étaient d’ailleurs arrivés deuxième. A contrario, la campagne présidentielle en France s’est quant à elle jusqu’ici moins penchée sur cette question, avec l’accent mis sur le pouvoir d’achat. Certes la question énergétique est moins directe en France avec le poids du nucléaire et la moindre dépendance aux importations russes. Pour relier ces enjeux, ce sont nos modes de consommation, de développement, de production, de fonctionnement dans un monde limité, où la résilience devient une qualité clé, qu’il faut penser.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron