Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Aujourd’hui, Sophie Lemaître, vous nous emmenez en voyage.
Oui, Laurence. Avec l’hiver, le froid, la pluie et la grisaille, vous avez peut-être envie de soleil, d’un endroit paradisiaque avec du sable chaud. Quand on pense au sable, on pense aux vacances, à la détente mais ce n’est pas que ça. Le sable a une autre facette méconnue.
Ah bon, laquelle ?
Le sable est le nouvel or noir. Environ 50 milliards de tonnes de sable sont extraits chaque année. On en retrouve partout : dans le verre, l’électronique, le béton. Il est utilisé pour la construction de routes, de bâtiments, de ponts, etc. Il faut 200 tonnes de granulat de sable pour une maison, 3 000 tonnes pour un hôpital. Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est la ressource la plus exploitée au monde après l’eau. Du coup, qu’est-ce qu’on fait ? On vide les plages de leur sable, on creuse des carrières, on ratisse les rivières. Les conséquences sur l’environnement sont catastrophiques : érosion des côtes, artificialisation des sols, risque d’inondation, ou encore pollution. D’ici à 2050, on pourrait avoir épuisé le type de sable qui sert à la construction. Satisfaire les besoins en sable sans pour autant en arriver à une situation catastrophique pour les écosystèmes et les populations est un équilibre difficile à trouver.
J’imagine que cette exploitation du sable n’attire pas que des acteurs responsables.
Effectivement. Le sable est extrait de manière artisanale mais aussi à une échelle industrielle. Et dans certains pays, cela est fait en toute illégalité. Le marché du sable a généré un important trafic de sable. Des pays comme l’Inde, la Gambie, le Kenya, le Maroc ou encore l’Ouganda sont touchés par ce fléau.
A quoi ressemble ce trafic de sable ?
Il n’y a pas de système bien défini mais on va retrouver un mélange d’hommes d’affaires, d’entreprises, de responsables politiques, de trafiquants, de policiers, voire même de l’armée. Pour parler de ce phénomène, le terme de « mafia du sable » est d’ailleurs utilisé. La corruption joue bien évidemment un rôle important. Des pots-de-vin sont versés pour que les autorités ferment les yeux sur l’extraction illégale du sable, sur les violences commises contre les populations ou pour que les autorités laissent passer les camions transportant le sable. Par exemple, en Inde, des parties politiques ont reçu des dons de personnes impliquées dans le trafic de sable. En contrepartie, on les laisse exploiter le sable en toute illégalité. On a donc un savant mélange de corruption, de crime organisé, de violence et de menaces contre les populations, les ONGs qui dénoncent les ravages de l’exploitation du sable mais aussi contre les journalistes qui révèlent ces pratiques. Des dizaines de personnes à travers le monde ont été assassinées pour s’être opposées à ces mafias du sable.
Qu’est-ce qui fait que ce trafic de sable perdure ?
L’argent ! Exploiter le sable est synonyme de profits gigantesques avec un risque faible d’être arrêté et d’être condamné. Il y a aussi la demande qui est en constante augmentation. Il n’existe pas non plus de convention internationale qui réglemente le commerce de sable. Les pays qui sont touchés par le trafic de sable disposent rarement de législations qui soient à la hauteur du problème. Les trafiquants se jouent des ambiguïtés et des lacunes des lois. C’est aussi un phénomène qui reste encore peu connu. En France, des médias comme Forbidden Stories, Le Monde ou Reporterre ont publié des reportages sur le sujet mais cela reste marginal. Je vous invite d’ailleurs à lire ces reportages qui sont passionnants et édifiants. Les liens sont sur le site internet d’Euradio. Pour changer les choses, on a besoin non seulement d’une prise de conscience de la gravité du problème et d’effectuer des recherches pour mieux comprendre ce fléau.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
Forbidden Stories, En Inde, les mafias du sable réduisent les journalistes au silence (2019)
Le Monde, Marchands de sable (2022)
Le Monde, Le sable, une ressource exploitée sans contrôle (2022)
David A. Taylor, Inside the Crime Rings Trafficking Sand (2024)
Reporterre, Entre meurtres et corruption, le juteux business du sable (2022)
TNRC, Sand Mafias: Environmental Harm, Corruption and Economic Impacts (2021)
Abdelkader Abderrahmane, Extracting and trafficking Morocco’s coastal sand (2022)
GITOC, Sand mafias in India – disorganised crime in a growing economy (2019)