Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Bonjour Victor Warhem, aujourd’hui, vous allez nous parler du livre blanc sur la défense et l’espace qui a fait l’objet de discussions dans le cadre d’un Conseil européen informel lundi, et dont le contenu devrait être au plus tard présenté le 19 mars.
Oui, absolument ma chère Laurence, vous êtes bien renseignée !
Le livre blanc sur la défense et l’espace, une toute première dans son genre puisque les Etats Membres de l’Union n’ont jusque là jamais eu à avancer ensemble sur ces questions, se destine à donner corps à une véritable Europe de la défense et de l’espace, notamment en matière industrielle.
Ce livre blanc succède à la création d’un poste de Commissaire à la défense et l’espace, attribué au lithuanien Andrius Kubilius, dont l’obsession est de donner les ressources aux Européens pour aider l’Ukraine autant que faire se peut, et évidemment pour endiguer la Russie si jamais le soutien américain venait à se tarir.
Désormais, il s’agit de décider à 27 de la manière de passer à l’étape supérieur.
Très intéressant, Victor Warhem, mais l’Europe est-elle si inactive que cela en matière de défense et d’espace ?
Rendons à César ce qui est à César, Laurence, vous avez raison. L’Union européenne a déjà développé certaines politiques liées à la défense et l’espace, notamment dans le cadre du cadre financier pluriannuel 2021-2027.
Ainsi, si nous faisons le bilan voilà ce qu’il en est :
Il existe depuis 2021 un fonds européen de défense – le FED – abondé de 8 milliards d’euros pour 2021-2027 soit un peu plus de 1 milliards d’euros par an. Il est géré par l’Agence européenne de défense, et son objectif est de soutenir les investissements dans la recherche et le développement de technologies et d’équipements de défense innovants et interopérables afin de limiter la duplication des efforts européens dans ce domaine. Au total, par rapport aux 400 milliards de dépenses de défense publiques et privées annuelles en Europe, le FED représente une portion congrue à l’heure actuelle.
Par ailleurs, depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne a renforcé son programme de soutien à l’innovation dans l’industrie de défense, l’EDIP, jusqu’à l’abonder avec 1,5 milliards d’euros.
La guerre en Ukraine a également provoqué la création de l’EDIRPA, visant à encourager les acquisitions en commun de moyens de défense par les Etats membres, avec un budget de 500 millions d’euros.
Enfin, historiquement au cœur du budget européen, les programmes spatiaux (Galileo, EGNOS, Copernicus, Iris², pôle espace d’Horizon Europe) représente environ 17 milliards d’euros pour 2021-2027.
Donc si l’on devait récapituler, la défense et l’espace représentent sur 7 ans environ 27 milliards d’euros, dont seulement 10 pour la défense, alors que le budget européen, incluant le NGUE, représente environ 1800 milliards d’euros !
Nous pouvons donc beaucoup mieux faire, et c’est l’objet du livre blanc sur la défense et l’espace actuellement en négociation.
Que pouvez vous nous dévoiler dans ce cadre, Victor Warhem ?
Ce que les décideurs publics en charge du dossier ont bien voulu que l’on sache, ma chère Laurence !
En l’occurrence, le livre blanc reposera sur trois piliers. Tout d’abord, il s’agira de proposer des mesures pour élever le niveau de préparation aux conflits de la base industrielle et technologique de défense européenne – la BITDE - , ensuite d’élever le niveau de commande publique pour améliorer ce niveau de préparation, et enfin de financer cette commande publique par de nouveaux moyens.
En se concentrant sur le dernier pilier, le financement, les pistes explorées sont :
Les « defence bonds », une nouvelle série d’emprunts européens – allant peut-être jusqu’à 100 milliards d’euros.
La hausse du budget alloué à la défense dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034, dont les négociations sont en cours, et qui pourrait incorporer par exemple le financement d’une DARPA européenne, appliquant des méthodes éprouvées pour faciliter l’innovation de rupture.
Le relâchement des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance sur les investissements en défense afin de faciliter la hausse des déficits publics dans ce cadre.
La redirection de ressources européennes existantes, comme celle de la Banque européenne d’investissement, vers des projets liés à la défense et l’espace.
Le soutien aux financements privés pour accélérer la production d’innovations dans le secteur de la défense et l’espace, processus par définition très risqué.
Il est également question d’ajouter une clause de préférence européenne afin de faciliter l’essor du secteur en Europe, jusqu’à 35 à 40% de la commande publique.
Il faut garder à l’esprit que, pour se conformer aux besoins européens mais aussi aux exigences de l’OTAN, les Européens doivent ajouter 500 milliards d’euros en dépenses de défense sur les 10 prochaines années, soit 50 milliards par an.
Alors que l’Europe ne met aujourd’hui sur la table qu’environ 1,5 milliards par an pour la défense, on comprend bien qu’elle devrait davantage être sollicitée à l’avenir dans ce cadre.
Après les élections allemandes du 23 février, nous devrions y voir plus clair sur l’ampleur de la capacité des Européens à prendre leur destin géopolitique en main.
L’Europe de la Défense est en route, et le reste du monde n’a qu’à bien se tenir !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
