Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Bonjour Victor Wahrem ! Aujourd’hui, vous allez nous parler de la « simplification Omnibus » qui a été annoncée hier par la Commission européenne.
Oui Laurence, pour compléter ma chronique de la semaine dernière sur le Clean Industrial Deal, qui a mis en avant la volonté de la Commission de réduire le coût de l’énergie pour l’industrie en transition, de faciliter les aides d’Etat aux cleantechs, ou de favoriser l’achat de produits européens dans ce secteur, il s’agit aujourd’hui de se focaliser sur le deuxième volet de mesures présenté hier avec le Deal susmentionné, et qu’on a gentiment nommé « Simplification Omnibus ».
Mais de quoi s’agit-il ?
Alors, il s’agit en réalité de plusieurs textes visant essentiellement à réduire la charge bureaucratique liée à la Corporate Sustainability Reporting Directive – la CSRD –, destinée à permettre aux entreprises émettrices de gaz à effet de serre de prendre conscience des émissions qu’elles engendrent que ce soit via leurs fournisseurs, leurs activités, ou leurs produits, et à la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), dont l’objectif est avant tout d’instaurer un « devoir de vigilance » pour les entreprises, en termes de respect des droits de l’homme et d’autres types de normes ESG dans les chaines de valeur.
Par ailleurs, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, souvent qualifié d’usine à gaz par les entreprises qui y sont confrontées, et la taxonomie européenne pour les investissements verts, sont également concernés.
Et en quoi consiste donc l’allègement dont vous parlez, Victor Warhem ?
Ces allègements vont tout d’abord porter sur le périmètre réglementaire. Ainsi, alors que toutes les entreprises européennes de plus de 250 salariés étaient jusqu’alors concernées par la CSRD, soit environ 50 000, ce seront dorénavant celles de plus de 1000 salariés qui devront s’y conformer, soit une réduction de 80% du nombre d’entreprises, à 10 000 environ. Ce changement de périmètre concerne également la taxonomie pour laquelle seules les entreprises de plus de 1000 salariés devront donc fournir des éléments permettant d’évaluer leur alignement aves les objectifs environnementaux, afin de faciliter le travail des investisseurs.
S’agissant du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ce sont 182 000 importateurs européens, qui ne représentent en réalité que 1% des émissions concernées, qui seront désormais exclus du périmètre d’action du dispositif, réduisant à 18 000 le nombre d’entreprises visées.
S’agissant de la CS3D sur le devoir de vigilance, pas de changement de périmètre en revanche : 6000 entreprises devront s’y conformer.
Au final, on constate un resserrement de toute la régulation environnementale sur les grands acteurs européens de l’industrie, de la production d’énergie, du transport ou du bâtiment, qui sont effectivement les plus émetteurs de gaz à effet de serre.
Y-a-t-il d’autres évolutions saillantes à prendre en compte ?
En ce qui concerne la CSRD encore, les PME auront le droit ne pas fournir les données liées à l’application de la directive aux grands groupes qui leur demanderont, réduisant ainsi un peu plus la contrainte qui pèse notamment sur les fournisseurs de grandes entreprises.
Par ailleurs, la CSRD et la CS3D connaitront une entrée en vigueur totale plus tardive, aux alentours de mi-2028.
Très bien, et donc, cet allègement était-il vraiment nécessaire ou la Commission a-t-elle cédé à un agenda destiné à favoriser les actionnaires au détriment de la planète ?
Il faut savoir avant toute chose que cet allègement de la réglementation environnementale européenne, attendue depuis novembre, s’accompagne d’une dynamique de simplification plus large qui devrait mener selon la Commission à une réduction du coût administratif pesant sur les entreprises de plus de 6 milliards d’euros par an. À termes, elle espère réduire de 25% la charge administrative européenne globale des entreprises, et jusqu’à 35% pour les PME.
Alors que l’Union européenne ne représente que 6% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, contre 27% pour la Chine et 11% pour les Etats Unis, et que les entreprises les plus polluantes resteront au cœur du dispositif mis en place par le Green Deal, cet allègement est, je crois, une bonne chose à ce stade.
Et pourquoi donc, Victor Warhem ?
Parce que la majorité des émissions européennes resteront concernées sans que les entreprises avec peu de capacités pour gérer la charge réglementaire – les plus petites donc – ne soient pénalisées à l’heure où tout est fait pour renforcer la compétitivité du continent.
Par ailleurs, la mise en œuvre de toute cette réglementation remplit également son autre objectif : celui de renforcer le statut de superpuissance réglementaire qu’est l’Union européenne. Et cela marche ! La Chine, par exemple, a introduit en 2024 les Chinese Sustainability Disclosure Standards qui s’inspirent grandement de la CSRD, avec une mise en œuvre totale prévue pour 2030. Du côté américain, en revanche, il ne faut s’attendre à rien les quatre prochaines années évidemment.
Mais le plus important reste que l’Union européenne continue de fertiliser le droit mondial environnemental avec son Green Deal, sans nécessairement pénaliser les entreprises qui pourraient le plus en pâtir.
Accompagné des mesures de politique industrielle présentées la semaine dernière avec le Clean Industrial Deal, et souhaitons-le, bien plus d’argent public et privé investi dans les cleantechs, l’Union européenne peut espérer accroitre son avance sur de nombreux marchés liés à la transition.
Non, l’UE n’est pas qu’une machine à brider l’innovation, il se pourrait bien au contraire qu’elle la favorise ici-même !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.