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Croissance européenne : nous pouvons faire mieux

© Pexels d'Alesia Kozik Croissance européenne : nous pouvons faire mieux
© Pexels d'Alesia Kozik

Euronomics sur euradio est une émission du Joint European Disruptive Initiative (JEDI), think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est Senior Fellow.

Victor Warhem, pour votre dernière chronique de l’année, il est temps de faire le bilan économique des mesures prises en Europe en faveur de la croissance et d’imaginer de nouvelles pistes.

Oui Laurence, pour ma trentième et dernière chronique de l’année, je souhaitais faire un point sur une variable macroéconomique qui obsèdent la plupart de nos dirigeants. Quand on voit les résultats d’une récente étude menée par la Banque Mondiale et la LSE, qui met en évidence une forte corrélation entre confiance dans le personnel politique et croissance économique, on comprend mieux pourquoi.

Mais alors quelles mesures emblématiques vont favoriser la hausse de la croissance ces prochaines années en Europe, Victor Warhem ?

Ma chère Laurence, cette semaine a été présentée le budget 2025 révisé ainsi que les grandes lignes budgétaires 2026-2029 de la nouvelle coalition allemande et on peut dire que les promesses sont respectées.

Indéniablement, le gouvernement allemand se donne les moyens par une politique d’investissement public dans la défense, les infrastructures, l’éducation, le logement, et la double transition de redevenir un moteur économique de l’Europe.

Depuis 2020, les investissements publics en Allemagne, historiquement très faibles – environ 1% du PIB – sont passés à plus de 2,5%, soit plus de 110 milliards d’euros, et devraient se stabiliser autour de 120 milliards d’euros ces prochaines années.

Cette hausse devrait contribuer à élever la croissance potentielle en Allemagne, peut-être même jusqu’à 0,5 à 0,7% du PIB par an sur les dix prochaines années. La croissance devrait donc enfin excéder les 1% dans la plus grande économie de la zone euro.

Très bien, et quoi d’autre ?

Nous avons déjà parlé à de multiples reprises : la politique de la Commission européenne en faveur de la hausse des dépenses de défense associée au nouvel objectif otanien de 5% de dépenses de défense au sein des pays alliés viennent ajouter un effet d’entrainement européen à cette relance allemande globale.

Même si les 800 milliards d’euros de dépenses de défense attendus par la Commission ne se manifesteront peut-être pas tel quel dans la mesure où les pays endettés, à commencer par la France, pourraient en réalité freiner le plus possible leurs hausses de dépenses de défense, on peut tout de même s’attendre à une hausse globale excédant probablement à termes les 500 milliards d’euros à horizon 2028, en comprenant la relance allemande dans la défense qui pourrait au final revenir à près de 70% de ces dépense supplémentaires.

Au global, les politiques allemandes et la politique européenne en matière de défense devrait donc faire passer la croissance potentielle de l’Union européenne d'un peu plus de 1% à plus de 1,6-1,7% à un horizon 2030, avec probablement un maintien de ce niveau relativement élevé pour l’Europe au moins jusqu’en 2035.

Du mieux donc, mais cela sera-t-il suffisant, Victor Warhem ?

Clairement, ces taux ne sont pas spectaculaires quand on se remémore notamment les taux de croissance de la fin des années 1990 ou d’avant la crise de 2008.

Ceci s’explique notamment par les “vents de face” qui vont continuer de structurellement affecter nos économies européennes ces prochaines décennies : tout d’abord le vieillissement évidemment qui pèsera de plus en plus sur les actifs ; un niveau d’endettement public élevé plutôt dans les pays du Sud - où il faut malheureusement inclure la France – pesant sur l’investissement public ; un système éducatif qui ne semble pas suffisamment s’adapter au marché du travail de demain et dont la performance globale baisse ; et enfin un taux d’épargne qui devrait rester élevé et qui ne profitera donc pas suffisamment à l’économie réelle, à commencer par les activités industrielles et innovantes.

Comment va se positionner l’Europe vis à vis des États Unis et de la Chine dans ce cadre ?

Bonne question, Laurence. À politiques égales, et sans prendre en compte de nouveau choc géopolitique - notamment un conflit potentiel entre les États-Unis et la Chine -, l’Europe devrait continuer de croitre moins vite que les Américains et les Chinois.

On peut en effet s’attendre à un maintien de la trajectoire de croissance américaine autour des 2%, tandis que l’économie chinoise – fortement affectée par le vieillissement de sa population active – devrait ralentir tout en restant autour des 3% à un horizon 2035.

Le décrochage économique européen devrait donc continuer, reléguant l’Europe de plus à plus à un rôle de figurant dans les affaires du monde.

Je vous connais, Victor Warhem. Vous n’êtes pas du genre à laisser faire. Comment faut-il ainsi compléter les politiques de relance européennes actuelles ?

Merci de me donner l’occasion de faire une belle synthèse de toutes les chroniques que j’ai pu préparer cette année, Laurence !

Si nous voulons améliorer notre condition collective tout en limitant les dépendances stratégiques qui ne vont cesser de croitre, notamment dans l’IA, si nous ne faisons rien, les solutions sont identifiées.

Si l’on souhaite faire remonter la croissance potentielle à plus de 2% du PIB en Europe à un horizon de dix ans, ce qui est tout à fait possible, c’est d’abord sur l’innovation et son financement qu’il faut accélérer. Ainsi, nous n’y couperons pas : il nous faudra mettre sur pied une véritable politique industrielle européenne dans les secteurs stratégiques qui devra donner lieu notamment à une agence européenne pour l’innovation de rupture bien budgété ! Première chose.

En matière d’éducation, il faudra préparer les étudiants à un monde du travail affecté par des cycles technologiques de plus en plus rapides, notamment à cause de l’IA. Cela passera par la formation à l’apprentissage lui-même : le travailleur de demain devra constamment continuer à apprendre, et aura un niveau d’autonomie moyen accru. L’entrepreneuriat devrait également être encouragé à tout prix. Enfin, les matières scientifiques devraient faire l’objet d’une revalorisation sociale conséquente.

En matière de financement et de marché, l’intégration accrue tant du marché intérieur que des marchés de capitaux sera indispensable à la croissance des projets les plus prometteurs. Les politiques actuelles de la Commission vont dans ce sens avec le 28ème régime notamment, mais sur la question spécifique des capitaux, nous sommes encore loin du compte et de nombreuses entreprises continuent d’aller aux États-Unis pour améliorer leurs perspectives.

Qu’est ce qui pourrait nous faire prendre ce chemin, Victor Warhem ?

La prise de conscience de la fragilité de notre mode de vie européen, affecté par les soubresauts de l’Histoire, tout simplement.

Autrement dit, la dégradation continue de certaines variables macroéconomiques comme la croissance des revenus des classes moyennes par exemple, qui nous pousse à l’extrême droite, devrait finir par nous contraindre à faire beaucoup plus ensemble, d’autant plus si le monde se referme autour de nous.

Il existe ainsi un avenir européen radieux. Nous proposons l’expérience humaine probablement la plus désirable qui soit pour l’Humanité entière. Nous avons tout pour la protéger tout en prospérant, maintenant : action !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.